Un monde, un fossé sépare la vie de la communauté juive marocaine depuis la diaspora des années 1960-1970. Si une infime minorité de juifs marocains vit encore sur son sol, beaucoup ont choisi le grand départ… Témoignages et explications sur des vies bien remplies, culturellement et historiquement bien de chez nous… depuis 2000 ans.
Albert Oiknine, styliste, grand couturier, célèbre faiseur de caftans et éternel casablancais, se souvient… Quand il était petit, pour la fête de la Mimouna, les boulevards, de la Place Verdun au début du boulevard d’Anfa, étaient spécialement aménagés pour cette fête juive. Il se souvient des Barmitsva (état de majorité religieuse chez les garçons de 13 ans), du Louis d’or que l’on appliquait contre la paume de la main enduite de henné… Des présents que l’on apportait lors des fiançailles, des mariages… Tous étaient alors habillés à la marocaine, et la séance du henné, pour la mariée, était l’étape la plus importante de la cérémonie. Il se souvient aussi de cette kessoua lekbira, la grande robe, un caftan d’apparat spécifique aux juives marocaines, en velours brodé de fils d’or… Originaire de Demnate, il se souvient aussi des chants de Hannouca, de la fête et des prières pour Pourim, des beignets, ces « sfenj » que l’on connaît tous, de la tradition du couscous, de la Hiloula, ces moussems où les juifs de chez nous effectuent un pèlerinage sur le tombeau d’un saint… Il se souvient, pour la fête du Kippour, du goût du couscous aux oignons et aux raisins secs ou encore aux courges… « Ces traditions sont, aujourd’hui encore bien ancrées et fêtées à New York ou à Miami », déclare-t-il. Ou à Ashkelon et Jérusalem.
Un processus d’acculturation
Nicole El Grissy, écrivain, auteure de La Renaicendre, recueil truculent et à grand succès d’anecdotes et d’histoires vraies sur les juifs marocains depuis la diaspora (lire encadré), se souvient elle aussi. Trônant, enfouie sous une moelleuse couverture dans son salon, en bonne Marocaine qui se respecte, elle raconte : « Rien à voir entre le Maroc de mon enfance et de mon adolescence et celui d’aujourd’hui… Avant l’exode, les juifs ne parlaient que l’arabe entre eux. Ou alors le berbère… ». Quant à la cuisine, affirme-t-elle, elle a beaucoup de ressemblances avec celle des musulmans, « seules les épices diffèrent… ». L’écrivain égrène les souvenirs, raconte les fêtes religieuses, Shabbat – arrêt du travail le vendredi, extinction des feux – et sa skhina du samedi. Son récit fourmille d’anecdotes et de détails, qu’il est impossible de relater ici. Nous ne pouvons que vous enjoindre à lire son livre pour retrouver ces parfums d’autrefois et cette déchirure, cette fracture qu’a connue le Maroc lorsque ses juifs ont décidé, dans leur immense majorité, de quitter leur pays natal.
Par la Rédaction
La suite de l’article dans Zamane N°54