Il y a de cela quelques semaines, le sage M’hammed Boucetta a rappelé ce qu’il avait dit il y a de cela trois ans, dans une interview qu’il avait accordée à Zamane : il faut repenser le Maghreb pour le dépasser et y inclure et l’Egypte et, pourquoi pas, le Soudan, en appelant cet espace par un terme générique, l’Afrique du Nord. Ce nationaliste de la première heure, qui a été élevé dans le combat pour l’émancipation et l’unité, et qui, dans un contexte de rivalité régionale, avait épousé une certaine idée du Maroc dans le sillage de son Parti de l’Istiqlal, opère là une grande révolution. à la faculté de droit de Rabat en décembre 2014, lors de la présentation du livre « L’alternance avortée » de Mohammed Ettayea, Boucetta avait lancé, non sans humour, en aparté, cette boutade : « l’Istiqlal, c’est moi ». L’Istiqlal comme idée et non comme organisation. Le parti comme âme et non comme un simple corps. Boucetta incarne l’Istiqlal dont il pouvait facilement contredire les prémices de départ sans en renier les fondements, car un corps sain est celui qui évolue et s’adapte. Les épigones ont toujours faussé les desseins des prophètes.
Il n’y a pas de grand Maroc, mais un Maroc grand par son peuple, ses institutions et ses ambitions pour la dignité et le progrès. Le Maroc ne nourrit aucune velléité expansionniste à l’égard de qui que ce soit. Il sait que les découpages frontaliers ont été fabriqués arbitrairement par les puissances coloniales.
Si la sagesse commande de ne pas les brusquer, l’intelligence recommande de ne pas les fétichiser. Elles ne sauraient s’interposer pour bloquer le mouvement des personnes et des idées, sans devoir revoir les tracés ni s’immiscer dans les configurations politiques propres à chaque pays.
« Le Maghreb arabe » comme idée a fait son temps, et Boucetta parle de l’Union de l’Afrique du Nord, la même idée qu’on trouve, d’un autre bord, chez Mohammed Chafik, le penseur d’obédience amazighe, par une autre appellation : les Etats-Unis d’Afrique du Nord. Et le devenir de cet espace se décide dans deux contrées qui doivent servir de liant, la Libye à l’est et Saguiet Al Hamra à l’ouest. Ces deux espaces, s’ils ne sont pas contenus par les ayants droit, avec les risques d’infiltration des intrus et des guerres par procuration, risquent de chambarder la région à un moment où l’impossible devient possible.
En réintégrant sa maison, l’Afrique, et en allant au-delà du fétichisme, le Maroc fait le bon choix, et rend possible l’idée d’une communion, africaine et nord-africaine. Ce n’est pas un fichu qui devrait nous détourner d’un grand dessein. Et ce n’est pas Boucetta qui dira le contraire. Qu’importent les appels du pied de ceux qui sont dans la lettre et non dans l’esprit. Boucetta m’avait raconté, du temps où il était ministre des Affaires étrangères, que l’Algérie avait fait le forcing, en 1978 ou 1979, pour une rencontre entre le Maroc et le Polisario. Celui-ci avait tenu à s’entretenir avec les responsables marocains, tout en excluant l’ancien ministre de l’Intérieur Driss Basri. Du côté marocain, il y avait Boucetta, le conseiller du roi, Réda Guédira, et le général Ahmed Dlimi. L’entretien a eu lieu dans une villa à Zeralda, pas loin d’Alger. Il était franc, sans langue de bois, et les chefs du Polisario étaient attentifs et à l’écoute des responsables marocains. Ils n’étaient pas insensibles à l’argument de l’histoire, ni à celui du devenir. Pour preuve de leur « bonne foi », les services algériens avaient tiré les photos de la rencontre et les avaient distribuées dans une réunion de l’OUA, pour saper la thèse marocaine selon laquelle le Maroc ne négocierait pas avec le Polisario. Cette fois-ci, c’est du côté des sociétés civiles qu’il faut voir. Elles ne peuvent rater ce rendez-vous, où qu’elles soient, à Nouakchott, Marrakech, Tindouf, Alger, Qasrine ou Benghazi. On parlera Afrique du Nord ou Afrique mineure. N’est pas nous qui avons donné à l’Afrique son nom, et pourquoi pas, aujourd’hui, un dessein ? Afrique du Nord et Afrique subsaharienne, ne sont-elles pas les deux battants d’une même porte, comme nous le disait si bien l’historien Ki-Zerbo ?
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane