Comment l’empire chérifien a-t-il perdu ses liens avec son premier voisin, le Sahel, et que reste-t-il de leur histoire commune ?
L’année 1661 est fondamentale : elle est marquée par le premier acte de rupture entre les deux rives du Sahara. Cette année-là, le royaume polythéiste de Segou (entre Jenné et Bamako sur le Haut-Moyen Niger) s’empare de la cité islamique de Jenné. C’est aussi cette année qu’un chérif du Tafilalet, grand homme de guerre, Moulay Rachid, écrase définitivement toute contestation au Maroc : la confrérie de Dila au Nord et les Saâdiens de Marrakech, au sud. Peu à peu, l’onomastique démontre que les noms des dynasties Askias du Moyen Niger perdent l’habitude des noms islamiques. L’ethnographie du début du XXèmè siècle redécouvre des Songhaïs complètement polythéistes et désislamisés. La civilisation malékite semble avoir abandonné la boucle du Niger, excepté à Tombouctou, et ce phénomène pourrait avoir été amorcé dès la conquête du Soudan par les armées marocaines et l’asservissement de son élite religieuse. Le Soudan ne représente plus pour le Maroc qu’un vivier d’esclaves à bon marché. Pour Moulay Ismaïl, qui succède à son frère en 1667, c’est le moyen de contrebalancer les troupes militaires hispaniques et arabes, ainsi que les tribus arabes «quasi-makhzen». Il enlève nombre d’esclaves africains du Maroc, par «droit de conquête», importe des dizaines de milliers de Soudanais captifs du pachalik de Tombouctou et tente d’enrôler les Noirs marocains. C’est bien la preuve d’une certaine déliaison, puisqu’on commence à assimiler le Noir à l’esclave, ce qui est d’ailleurs un phénomène qu’on observe à la même époque dans les colonies européennes. Les juristes de Fès, souvent d’origine juive, défendent les descendants d’affranchis contre les levées du sultan, et beaucoup souffriront le martyre pour avoir défendu le droit islamique à la libertécontre les desseins du pouvoir.
Par Simon Pierre
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