Le cimetière des victimes des événements de juin 1981 a été officiellement inauguré le 5 septembre dernier à Casablanca. 35 ans après la terrible répression qui s’est abattue sur les manifestants, une partie des victimes repose enfin en paix.
Tout près du cimetière Chouhada à Casablanca, reposent désormais les dépouilles, ou ce qu’il en reste, d’autres martyrs, que le temps a failli faire sombrer dans l’oubli. Entouré de murs blancs fraîchement érigés, un espace de quelques dizaines de mètres carrés abrite désormais les dépouilles des victimes, les «chouhada koumira», expression ironique de Driss Basri, artisan de la répression des années de plomb. Egalement appelé la « révolte du pain », ce violent épisode social s’est déroulé entre les 20 et 21 juin 1981 dans les rues de Casablanca. Devant la flambée des prix des produits de première nécessité, la Confédération démocratique du travail (CDT), bras syndical de l’USFP, a lancé un appel à la grève générale. Plusieurs milliers de personnes se rassemblent au cœur de Hay Mohammadi et dans d’autres quartiers de la ville. La grève est largement suivie, et les mouvements de foule sont difficilement contrôlables. Le pouvoir n’y va pas par quatre chemins. L’ordre est vite donné aux forces de police de réprimer sévèrement les manifestants. Dans la confusion, une véritable « chasse aux syndicalistes » s’organise et dure presque 24 heures. La répression est impitoyable. Les familles des victimes et des disparus n’ont que leurs larmes pour pleurer.
L’avènement du nouveau règne leur permet, au moins, d’afficher leur douleur. Car personne n’a oublié. En 2004, l’IER (Instance équité et réconciliation) est chargée de remettre des recommandations, de permettre à l’Etat de regarder son passé en face et de rendre enfin justice aux victimes et à leurs familles. Une année plus tard, la découverte d’une fosse commune à Casablanca remet cet épisode au centre de l’actualité. Driss El Yazami, président du CNDH (Conseil National des Droits de l’Homme) est l’un des témoins de cette macabre découverte : « Depuis ce jour, le travail a consisté à répertorier les victimes et à indemniser les familles ». Un décompte qui pose problème encore aujourd’hui, d’après Mustapha Manouzi, président du Forum Vérité et Justice : « Il semble que le nombre de 80 tombes ne corresponde pas à la réalité de l’hécatombe ». Il reconnaît toutefois que l’inauguration du cimetière est « un pas important vers la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat ». Il souhaite que cette démarche soit poursuivie, en enquêtant sur d’autres lieux de triste mémoire, comme Le Corbis ou le PF3 de Rabat, « et pourquoi pas, la reconstitution du bagne de Tazmamart ». Pour Manouzi, la réhabilitation c’est « comme un bateau, s’il reste des trous, il coule ».