Les présumés ravisseurs de Ben Barka avaient prévu de soumettre leur victime à un interrogatoire. Les questions retrouvées dans la poche de l’un des membres de la bande confirment certaines pistes déjà bien établies. « Zamane » a mis la main sur ce document exceptionnel.
«Avez-vous déjà organisé un attentat contre Hassan II et à quelle occasion ? Êtes-vous partisan de l’accomplissement, dans l’immédiat, d’une action pareille ? ». Telle est la teneur des questions posées au leader de l’UNFP, Mehdi Ben Barka. Le document, composé d’une trentaine de questions de la sorte, est aujourd’hui classé « pièce à conviction » dans le dossier de l’Affaire Ben Barka. Il est conservé à ce jour par le juge Patrick Ramaël, chargé de l’instruction. Son existence est connue de la justice française depuis qu’il a été trouvé en 1970 dans la poche de Georges Figon, un repris de justice impliqué dans l’enlèvement devant la brasserie Lipp. Ce dernier a été le seul accusé à manifester son intention de tout révéler sur l’affaire. Il est retrouvé mort dans son appartement parisien le 17 janvier 1966, soit un peu moins d’un an après les faits. La justice française conclut au suicide. À l’époque, l’enquête semble ignorer ce document pourtant précieux. Il a fallu l’intervention de Maurice Buttin, l’avocat de la famille Ben Barka, pour que la justice se penche enfin sur l’origine et surtout l’auteur de l’interrogatoire.
Les premiers éléments d’analyse graphologique indiquent aux enquêteurs que le rédacteur de ces lignes serait un certain Pierre Lemarchand, ancien député gaulliste et un des anciens chefs « des barbouzes ». D’après Maurice Buttin, ce dernier se comporte d’une manière suspicieuse en promettant au juge de prouver son innocence dans les plus brefs délais. Lors de son audition en 1976, Pierre Lemarchand nie être l’auteur des questions destinées à Mehdi Ben Barka. Maurice Buttin affirme quant à lui avoir entendu Lemarchand expliquer aux enquêteurs que Georges Figon racontait que c’est Oufkir qui a dicté les questions à l’un de ses assistants. Lors de sa dernière audition qui s’est tenue en 2005, l’ancien député consent à apporter un élément nouveau. Il prétend en effet que Georges Figon était au courant de l’opération d’enlèvement au moins un mois ou deux avant ce fameux 29 octobre 1965. Lemarchand n’aura pas tout dit au juge Patrick Ramaël. Il meurt en 2008. L’interrogatoire, dont Zamane dispose d’une copie, permet d’éclairer les intentions des commanditaires. Il semble clairement établi que Ben Barka devait répondre à des accusations liées à une « trahison » de son pays, le Maroc. Le document qui fait l’objet d’un article approfondi dans la version arabophone de « Zamane » de ce mois de novembre, a sans doute encore bien de secrets à révéler.
Par Sami Lakmahri