On a souvent dit que le Maroc s’était construit une « épaisseur » historique, à cause ou grâce à une situation géographique plutôt particulière. C’est dans cette dualité, tantôt favorable, tantôt pénalisante, voire désespérante, qu’il faut chercher à comprendre les raisons d’un Maroc tiraillé entre les deux pôles du monde arabe, le Machrek et le Maghreb. Les développements récents et l’actualité en continu font état d’un Maroc qui se sent plus proche de la péninsule arabique et de ses monarchies pétrolières que de ses voisins de palier du nord-ouest africain. Le bon sens aurait voulu que ce soit l’inverse ; ou, encore mieux, les deux à la fois ; par un heureux alliage entre histoire et géographie et par une double attitude positive des deux extrémités du monde arabe. Il n’en a rien été.
Sans verser dans un propos linéaire, disons que le Maroc, tout au long de sa quête historique, n’a cessé de chercher et de consolider sa présence régionale et continentale. Il en a même constitué l’épicentre administratif et politique, des siècles durant. De même qu’il a régulièrement alimenté le flux commercial et son corollaire culturel avec l’Afrique subsaharienne. Tout cela apparaît, dans le contexte actuel comme de la vieille histoire, tout juste bonne à meubler les manuels scolaires et les curiosités intellectuelles en circuit fermé. Comme quoi, les faits historiques ne meurent jamais ; mais ils prennent des rides sans vraiment vieillir, au point de paraître déclassés et méconnaissables.
Plus proche de nous, dans l’espace-temps, difficile de dire que le Maroc n’ait pas fait le maximum pour qu’existe et prospère une entité maghrébine économiquement viable, culturellement rayonnante et humainement chaleureuse. Il en a même été l’instigateur et le fondateur à travers le sommet maghrébin de Marrakech en 1989. L’Algérie s’y oppose à ce jour, à partir du point nodal de la question du Sahara et au prétexte, instrumentalisé pour le coup, du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Quitte à ce qu’il s’agisse d’un même peuple et d’un même territoire, l’un et l’autre authentiquement marocains. En clair, ce projet séparatiste est téléguidé par Alger. Une vérité que la communauté internationale a fini par intégrer, si l’on en juge par le dernier rapport du SG de l’ONU, adopté par le Conseil de sécurité le 15 avril 2015. Une évolution relativement satisfaisante qui n’occulte pas, pour autant, les erreurs commises dans la gestion de ce dossier.
Côté africain, il est bon de rappeler que le Maroc a été poussé vers la sortie d’une organisation continentale dont il a contribué à la création et après avoir soutenu les mouvements de libération nationale pendant la présence coloniale. Il est vrai que la diplomatie marocaine, tous circuits souverains ou parallèles confondus, a repris ces derniers temps du souffle. Il n’empêche que nous sommes encore loin du compte, puisque toujours absents des instances africaines. Au point de se demander si notre réaction première était la plus pertinente et la plus productive.
Quant à la proximité avec l’Europe, le Maroc est devenu, à son corps défendant, le gendarme et le rempart d’une immigration massive et non désirée vers l’autre rive de la Méditerranée. La contrepartie étant quelques facilités d’exportation, un peu plus d’attention à l’encontre de nos propres immigrés et surtout un appui un peu plus prononcé à la légitimité de notre cause territoriale et nationale. En faisons-nous suffisamment, sur ce front également, pour remonter le déficit existant et inverser la tendance ? Voire …
Au terme de ce bref survol, qui pèche peut-être, exercice oblige, par un excès de synthèse, il en ressort que le Maroc n’avait d’autre perspective d’alliance stratégique qu’en portant son regard très loin, au-delà de l’horizon visible sur une carte géographique qui aurait pu paraître plus logique… Lorsque le Maroc a reçu, selon les us diplomatiques, l’invitation à rejoindre le Conseil de coopération du Golfe (CCG), cela n’a pas vraiment été une surprise. Mais cela a tout de même fait tiquer certains milieux. C’est que nos « cousins » de l’autre côté de minuit n’ont pas toujours et pas tous bonne presse chez nous. Choix cornélien : doit-on forcément choisir entre des adversaires, voisins intimes, ou des alliés lointains, au comportement quelquefois peu recommandable dans nos murs ? Le choix est vite fait, car l’offre est de taille, tant au niveau économique, avec ses points d’appui financiers et militaires, qu’au niveau du répondant diplomatique sur la scène arabe et internationale.
On en a fait récemment l’expérience, suite à notre brouille passagère avec l’Égypte d’al-Sissi. Son ralliement à l’Algérie, au bon souvenir d’un nassérisme fossilisé, n’a pu se faire que sur une l’idée fixe anti-marocaine de nos voisins immédiats. L’intervention solidaire de l’Arabie Saoudite auprès de son débiteur égyptien a été salutaire. Au gré des évolutions et des tensions régionales à facettes multiples, le meilleur ou le pire est à l’avenant. C’est devenu une évidence : aujourd’hui, le Maroc est plus proche du Golfe arabique que du Maghreb. Un peu comme si la géopolitique faisait un pied de nez à la géographie.
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION