L’expression coup d’Etat semble définitivement bannie, à une époque où l’accession au pouvoir politique passe par les urnes, à partir du substrat fondateur « un homme, une voix », sous le règne absolu de la démocratie populaire. Une conditionnalité, universellement admise, qui ne supporte aucune forme de transigeance. Même les régimes qui s’y conforment, peu ou pas du tout, sont contraints d’aménager quelques accommodements formels pour faire semblant, du mieux qu’ils peuvent. Les réfractaires à cette règle, ouvertement ou lourdement soupçonnés, sont carrément mis au ban du concert des nations. Un statut peu enviable. Quoique les coups d’Etat subreptices, ou même avérés, ne soient pas toujours perçus et soupesés à la même aune. Ce sont souvent les servitudes économiques qui pèsent de tout leur poids sur la raison d’Etat. Ramené à notre échelle nationale, autrement dit à notre cuisine de politique intérieure à travers l’histoire, nous nous posons légitimement la question de savoir où en avons-nous été par rapport à ce fait marquant que constitue un coup d’Etat, lourd de conséquences et de significations. De prime abord, un constat incontournable : un pays à grande épaisseur historique comme le Maroc ne pouvait échapper à ce questionnement. Qui plus est, un pays où l’ouverture sur le monde est une constante, une tendance lourde quels que soient les contextes, les conjonctures et les époques. Et même si cette ligne de continuité n’a pas toujours été à son avantage. Cela a souvent aiguisé les convoitises des puissances coloniales, à chaque fois que le pouvoir central s’était affaibli. On a tendance à croire que le Maroc n’a connu de tentatives de coups d’Etat que vers la fin du siècle dernier, la période la plus proche de nous ; celle des seniors parmi nous. Les putschs avortés de Skhirat, en juillet 1971, et de l’attaque de l’avion royal en août 1972 sont toujours dans les mémoires. Sauf que le continuum immuable de l’évènementiel historique est tout autre. Il nous renseigne sur une facette généralement occultée de notre histoire. La lutte pour le pouvoir a été quasi permanente ; avec ses coups de force fracassants et ses intrigues de palais sanglantes. C’est l’une des marques indélébiles de notre historicité, aussi longtemps que l’on remonte dans le temps, des Almoravides aux Alaouites, en passant par les Almohades, les Wattasides, les Mérinides et les Abbassides. Les passages d’une dynastie à l’autre se sont produits à ce prix. De même, la succession au sein de la même dynastie n’a pas toujours été d’une fluidité convenue, apaisée et entièrement pacifique. Loin s’en faut. Le présent numéro de Zamane vous propose un dossier réalisé par des historiens-chercheurs sur le sujet ; avec des faits pas toujours connus et des analyses parfaitement accessibles. S’il fallait chercher une particularité marocaine à ce propos, ce n’est certainement pas dans la conquête du pouvoir par la force ; un lieu commun à travers l’histoire. Ce serait plutôt dans le fait avéré de cette tentation, que l’on pourrait qualifier d’ordinaire, qui n’a pas pu rompre la continuité monarchique. Elle s’est toujours violemment inscrite dans cette même continuité jusqu’à ce 20ème siècle de tous les drames humains et de toutes les ruptures. Tout au long de ce siècle, le Maroc a connu de multiples réponses à l’hypothèse d’un changement de régime politique, avant et après l’époque du protectorat. Il est aujourd’hui établi que l’époque héroïque de Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi contre l’occupant espagnol, entre 1921 et 1925, devait aboutir à la création d’une république dans le Rif. Cela aurait conduit à une situation incongrue : celle d’une scission d’une partie du Maroc dans un contexte global d’hégémonie coloniale. Pour ce qui est des velléités républicaines prêtées au Hizb Achoura de Mohamed Ben Hassan El Ouazzani, elles servaient surtout d’alibi à la vendetta implacable menée par l’Istiqlal, encore unifié contre les Chouris. L’objectif n’était pas moins que d’instaurer une prééminence partisane sans partage sur le Maroc postcolonial.
Quant aux prétentions plus ou moins ouvertement baathistes des putschistes militaires, trop vite comparés aux « officiers libres », d’obédience vaguement nassérienne, d’Egypte, de Syrie, d’Irak, de Libye et d’Algérie, elles se sont vite évaporées. La lecture qu’on en fait aujourd’hui, au regard de l’actualité du monde arabe, est beaucoup moins glorifiante. On sait ce qu’on a eu, avant et après, mais on sait aussi ce à quoi on a échappé.
En définitive, à travers l’angle d’observation du recours à la violence pour faire main basse sur le pouvoir, on redécouvre tout un bouillonnement politique, parfois surprenant, du Maroc d’hier et d’avant-hier.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION