L’affaire du dahir berbère a débouché sur un bras de fer entre le Protectorat et le jeune mouvement nationaliste. Ce dernier le gagna, profitant d’un contexte de marasme économique. Retour sur un épisode complexe de l’histoire marocaine, où l’enjeu n’était pas seulement politique, mais culturel, voire identitaire.
La promulgation d’un dahir durant les premières décennies du Protectorat, était une pratique courante et banale. Mais pour le cas du dahir berbère, le fait qui devait passer inaperçu s’est transformé en un événement majeur. À ce jour, la simple évocation de ce dahir déclenche des passions entre Marocains. De quoi s’agit-il en fait ? Le dahir promulgué le 16 mai 1930 est nommé dans sa version arabe au Bulletin officiel : « dahir tandhim al adlya fi al-Bilad al-ôurfia » (dahir d’organisation des juridictions en pays de coutumes). Dans ses huit articles, on constate l’insertion des expressions « coutumes berbères » et « pays berbère ». À l’époque, ces mots ne choquaient pas. Quant à l’appellation « dahir berbère », c’est au mouvement nationaliste qu’on la doit. Le traitement spécial réservé par l’administration du protectorat aux berbères avait déjà une histoire. Pourquoi donc la précision de l’aspect juridique en 1930 devint-elle un événement capital ? On peut avancer deux éléments explicatifs. L’intelligentsia citadine marocaine, traumatisée par le choc de la modernité occidentale, avait eu le temps de digérer l’impact douloureux des défaites marocaines depuis la prise d’Alger en 1830 par les troupes françaises. La perte de la souveraineté du pays en 1912, la fin de la guerre du Rif en 1926, l’exil de Khattabi, l’essoufflement du mouvement du « jihad » dans les campanes,… tous ces événements ont contribué à faire répandre l’idée que le combat contre le colonialisme resterait vain, à moins d’être mené dans un nouveau cadre de pensée et avec de nouveaux outils de mobilisation.
Par Mostafa Bouaziz
La suite de l’article dans Zamane N° 56