Fatima Mernissi a grandi au sein d’un harem. Son enfance à l’intérieur de cette « institution », qui a souvent provoqué les interrogations et les préjugés, a largement nourri ses réflexions ainsi que son œuvre. Dans son esprit, le harem est surtout un concept philosophique à la fois invisible, intemporel et universel. Analyse.
Tout au long de son œuvre prolifique, Fatima Mernissi revient sur le sens du mot « harem » qui, comme elle l’atteste dans son roman autobiographique «Rêves de femmes », sème le trouble et soulève des contradictions. Le terme revient si souvent dans ses écrits qu’il semble compenser le fait que, dans son enfance passée justement dans un harem, Mernissi était contrainte de l’utiliser « avec la plus grande parcimonie » afin d’éviter les discussions susceptibles de dégénérer en disputes.
« Vous êtes vraiment née dans un harem ? » lui demandent, un sourire narquois aux lèvres, les journalistes qui l’interviewent à propos de son livre « Rêves de femmes ». Ce harem, « objet de fascination en Occident, point de fusion de trois éléments les plus désirés : pouvoir, richesse et jouissance », continue à susciter «stupéfaction et inquiétude». Sa connotation « orgiaque » associée au harem impérial turc a fini par sombrer dans les lieux communs.
L’étymologie citée dans certaines œuvres de Fatima Mernissi, puisée de Lisan al ‘Arab d’Ibn Mandhour, peut être associée aux termes « haram », « harem », «horma» ou « mahram ». Ces termes renvoient d’une part à ce qui est interdit et contraire de ce qui est permis (halal) et, d’autre part, au sacré réglementé par un ordre strict. Dans son œuvre, Fatima Mernissi explore de nombreuses dimensions complémentaires de ce que peut représenter un harem. « Je suis née en 1940 dans un harem à Fès » est l’incipit de «Rêves de femmes », le roman dans lequel Fatima Mernissi relate une partie de son enfance dans un harem bien réel, un palais bâti de pierres, tout autant qu’une réalité vécue par l’auteure. Le sens que revêt le harem s’inscrit, de ce fait, dans la vision qu’elle se fait de sa propre histoire et de son vécu personnel. Dans les autres œuvres, le harem est une notion transversale qui prend différentes formes, mais dont les caractéristiques se dessinent plutôt en filigrane à travers des pratiques.
Par Leila Bouasria
Lire la suite de l’article dans Zamane N° 69-70