S’il y a des termes qui ont fait l’objet de toutes les confusions sémantiques, ce sont ceux d’arabe et d’arabité, dans la délimitation de leur aire géographique, dans leur dynamique historique et dans leurs contours ethniques et religieux. Les confusions entre ces vocables, qui ne datent pas d’hier, sont plus que jamais d’une actualité brûlante. Un peu partout dans le monde, on ne fait pas l’effort d’admettre quelques évidences, à savoir que tout Arabe n’est pas forcément musulman et tout musulman n’est pas systématiquement un Arabe. Sur ces amalgames généralistes, à caractère ethnique ou confessionnel, viennent se greffer des idées reçues, fondées sur de fausses certitudes.
Dans le dossier de la présente édition de Zamane, des analyses appuyées sur des références d’autorité scientifique reconnue, font la lumière sur des clichés éculés, mais néanmoins endurcis. Comme si l’usure du temps qui passe n’avait aucune prise sur le temps qui reste. Quel crédit peut-on accorder à des raccourcis par trop simplificateurs du genre : « Le Maroc est cette terre peuplée de deux races distinctes, les Arabes et les Berbères. Les premiers occupent les plaines alors que les seconds sont refoulés dans les montagnes »?
C’est la question que se pose notre collaborateur et historien, Mohamed El Mansour. Pour y répondre, il en appelle à Maxime Rodinson pour qui « tous les peuples sont formés d’un mélange d’éléments ethniques dont, le plus souvent, beaucoup se trouvent sur place depuis la préhistoire ». Au moment où les frontières se ferment, au nom de la préservation d’une identité nationale supposée, on pourrait aussi citer Fernand Braudel, historien spécialiste des civilisations méditerranéennes. Intitulé « L’identité de la France », il y polémique en ces termes : « Je ne veux pas qu’on s’amuse avec l’identité. Vous me demandez s’il est possible d’en donner une définition. Pour moi, l’identité parfaite n’existe pas ». On peut ajouter, sans risque aucun, que le concept d’identité, poussé à la limite de sa logique interne, est porteur de l’idée de pureté ethnique qui a fait tellement de ravages tout au long du XXème siècle et sur la longue durée du processus historique. Une histoire pas belle à voir, terriblement sanglante, parfois génocidaire, pour cause d’identité supérieure à toutes les autres dont elle nie jusqu’à l’existence physique. De par sa position géographique entre deux continents et son histoire marquée par une ouverture durable sur le monde extérieur, le Maroc ne pouvait échapper à ce débat. Un événement a fait date pendant le Protectorat français : le dahir berbère du 16 mai 1930. Il s’agissait d’instituer une ligne de séparation administrative, aux relents culturels et judiciaires, entre Arabes et Berbères. Cela suppose qu’il n’y avait que les Berbères et les Arabes de « souche », pour utiliser un terme qui fleurit aujourd’hui dans les discours et les écrits en Europe. Ce qui, pour nous, exclut toute éventualité de Berbères arabisés et d’Arabes berbérisés. Or, la vérité historique, c’est précisément ce brassage des ethnies, à moins de procéder à des analyses de l’ADN sur plusieurs siècles. Le dahir berbère n’a pas pris. Il a même eu un effet contraire puisque l’unité nationale en est sortie renforcée.
Et pourtant ! L’idée d’une culture berbère constituée, avec sa langue écrite articulée autour d’une grammaire en bonne et due forme, ainsi que des us et coutumes séculaires, n’a pas eu facilement droit de cité dans le discours et les institutions politiques, pas plus que dans les programmes scolaires. Mohamed Chafik, linguiste berbériste et intellectuel de renommée, directeur du collège royal de 1976 à 1982, en sait quelque chose. Mais cette idée a fini par se concrétiser avec l’avènement du roi Mohammed VI, jusqu’à ce que l’amazigh soit reconnu comme langue nationale à côté de l’arabe, dans la Constitution, et qu’il dispose d’une structure autonome, l’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe), avant d’être progressivement intégré dans les médias et les écoles. Comme quoi, l’identité marocaine ne pouvait être que plurielle et pluriculturelle.
Parmi les derniers textes de loi validés par le Conseil des ministres tenu à Tanger le 26 septembre 2016, marquant la fin de l’actuelle législature, figurait la loi organique définissant les procédures de mise en œuvre de l’amazigh ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique. Un peu comme si l’histoire était constamment rattrapée par l’actualité.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION