L’histoire peut parfois bégayer dans des moments de doute et de flou, mais il lui arrive aussi de s’accélérer. Nous vivons alors, comme c’est le cas actuellement, une période d’immédiateté historique qui se déploie sous nos yeux. Tout milite pour cette dernière version, par rapport au factuel d’un Maroc qui officialise son implication dans le vécu de son continent. Le sujet qui en est à l’origine engage, effectivement, notre espace de vie sur l’intégralité du territoire qui est le nôtre. Le retour du Maroc à l’UA, solennellement avalisé le 31 janvier 2017, sera certainement une date marquante dans notre rapport à l’Afrique. Le lieu, le contexte continental et international, ainsi que la manière dont le Maroc a annoncé ce retour par la voix et la présence effective du Roi MohammedVI, ont contribué à la singularité imposante de l’instant. Le qualificatif historique, souvent galvaudé, correspond parfaitement à la teneur du discours royal devant cette assemblée africaine. Les causes et le legs d’un passé de toutes les turpitudes politiques, délibérément abordées en filigrane, ont été relégués à une lecture au second degré du texte. C’est leur impact sur le présent et leur éventuelle hypothèque de l’avenir qui ont prévalu. «Loin de nous l’idée de susciter un débat stérile », a dit le souverain, avant de faire le constat regrettable d’une intégration maghrébine entravée parce que « la flamme de l’UMA s’est éteinte et la foi dans un intérêt commun a disparu ». De la conférence fondatrice de l’OUA, à Casablanca en 1960, à aujourd’hui, cette période couvre l’une des tranches d’histoire les plus mouvementées du continent, depuis l’élan libérateur à l’acquisition des indépendances et aux jours d’après de toutes les difficultés et de toutes les aventures. L’Afrique est plusieurs fois mal partie, pour paraphraser René Dumont. L’Afrique est toujours à la recherche d’un nouveau départ. Vu sous cet angle, le retour du Maroc aux instances délibératives de l’Afrique se devait de représenter une vision novatrice pour un futur immédiat, prometteur en termes de développement économique et humain. C’est précisément cette approche qui a été conçue et mise en œuvre à partir d’un vaste programme de chantiers, avec un effet de levier et d’entraînement. En somme, une coopération Sud-Sud qui dépasse les discours de circonstance pour aller dans le concret. La disponibilité du Maroc dans ce sens a été largement démontrée au cours des périples africains du souverain et des accords conclus avec les différents pays visités. Cette volonté de retour à l’Afrique institutionnelle a été un long processus d’activation diplomatique et d’implication.
L’Algérie a fait feu de tout bois pour retarder l’échéance, à défaut de pouvoir l’empêcher. Toujours est-il que l’événement présent nous fait forcément remémorer le moment où le Maroc a dû quitter l’OUA. Beaucoup a été dit sur cette « politique de la chaise vide », sur sa pertinence éventuelle par rapport à un organisme que nous avons contribué à construire et son rendement par rapport au contexte de l’époque. Aujourd’hui, on s’interroge surtout sur le maintien de la « république de Tindouf » dans les travées de cette institution panafricaine dont nous avons claqué la porte pour dénoncer, précisément, cette présence qui a eu valeur de hold-up historique. Le message royal lu par Ahmed Reda Guedira au 20ème sommet de l’OUA, le 12 novembre 1984 à Nairobi, illustre bien ce moment d’histoire : « L’heure de nous quitter est venue… en attendant des jours plus sages… Un jour, l’histoire remettra ses comptes à jour ». Ce jour-là est-il arrivé ? Il est vrai que la tendance, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, avec son corollaire de la guerre froide, a été favorable aux regroupements régionaux à caractère géostratégique. L’époque actuelle est plutôt celle du protectionnisme économique et du réflexe de repli sur soi. Ce décalage donne à la démarche marocaine plus d’originalité et de poids. Même si elle paraît naviguer à contre-courant, elle mise sur une Afrique solidaire qui met en valeur ses propres moyens naturels et humains pour s’en sortir.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION