Les violences dans l’espace scolaire font une triste actualité ces derniers temps. Cela ne se passe pas dans les cours de récréation, entre élèves, comme d’habitude. Mais entre élèves agresseurs et enseignants agressés. Novembre 2017 a été un mois noir pour les profs des collèges et des lycées. Six villes ont été touchées par un phénomène devenu un véritable fléau, Casablanca, Rabat, Kénitra, Mehdia, Sidi Bennour et Ouarzazate. Ce sont des mineurs, armés d’objets contendants qui attaquent leurs profs, leur infligeant des blessures à deux doigts d’être mortelles. À Casablanca par exemple, Rachida Mekhlouf, enseignante au lycée Houssein Ibn Ali, a eu le visage tailladé à coups de rasoir par l’un de ses élèves, le 22 novembre. On touche le fond de ce courant profondément dévastateur avec le coutelas de cuisine dans le cartable d’un élève de l’école primaire à Marrakech. Que s’est-il passé dans la tête de ce galopin d’une dizaine d’années à peine, pour qu’il se métamorphose subitement en terroriste en herbe ? De quelles images néfastes s’est-il inspiré, au point de vouloir les reproduire.
Alors qu’on attendait une révolution dans le secteur scolaire qui en a grandement besoin, on a eu une criminalité juvénile galopante et énormément inquiétante. C’est vraiment très mal payé pour les parents déjà affectés par les contre-performances de l’enseignement public. D’autant que la médiatisation de cette nouvelle forme de délinquance aboutit à sa banalisation parmi le public. Il ne s’agit pas de la faire passer par pertes et profits. En silence, pour mieux s’en accommoder. Mais de réagir activement pour l’endiguer. Encore faut-il, au préalable, démêler le pourquoi du comment. Comment en est-on arrivé là et par quelle inversion totale des valeurs ? Difficile pour les générations actuelles d’imaginer que, à une époque pas très lointaine, l’enseignant était respecté par ses élèves et franchement vénéré par les parents. Son métier était socialement valorisé. Ce n’était que justice par rapport à la culture arabo-islamique où l’enseignant, qui a failli être prophète de son état, avait un statut presque sacralisé. Aujourd’hui, l’instit du quartier fait sourire sous cape et sa profession est ouvertement moquée. C’est à croire que plus rien n’est porteur de valeurs par les temps qui courent. Cette situation appelle forcément quelques interrogations. À quel niveau d’implication se situent les responsabilités ? Quelles sont la nature sociale et la portée politique de cette implication entre hier et aujourd’hui ? À ce jour, et par un héritage cumulatif de mode de pensée et de posture par rapport au pouvoir central, tout était mis sur le dos de l’Etat ; sans discernement aucun entre ce qui relève de ses compétences confirmées et les obligations de la société à son égard. La première portée de cette dualité est bruyamment mise en exergue ; silence total sur la deuxième. Tout se passe comme si, par un réflexe conditionné, une lame de fond appelait constamment à plus d’Etat partout et quelle que soit la nature des faits déclencheurs d’une éventuelle intervention. Un legs du temps où l’Etat aux pouvoirs infinis était revendiqué. Dans le cas d’espèce qui justifie notre propos, l’Etat doit assurer la sécurité des élèves à la sortie des classes. En clair, là où se déroule à ciel ouvert le trafic de psychotropes et autres drogues assimilées. Sans plus. Partant du principe de l’inviolabilité des établissements scolaires, l’Etat n’a pas vocation à y mettre les pieds, sauf dans des cas limites comme celui qui nous intéresse. La relation pédagogique prof-élève relève de l’Education nationale ; l’assainissement de la voie publique revient à l’autorité sécuritaire de proximité, voire à la justice pour le trafic de stupéfiants. Le reste, tout le reste, est l’affaire exclusive de la famille. Une partie prenante qui n’est pas suffisamment rappelée à ses devoirs premiers. Car, comme chacun devrait le savoir, l’école enseigne, transmet de la connaissance ou un apprentissage. Quant à l’éducation, elle est du ressort de la cellule familiale à toutes les étapes de croissance de sa progéniture. Pourquoi donc ce laisser-aller parental qui prend des allures de démission totale ?
Sans vouloir tirer sur l’ambulance, la faillite de l’école publique, reconnue au plus haut niveau de l’Etat et confortée par les instances internationales, est à la base de cette crise de l’enseignement aux multiples impacts désastreux sur la société. À ceci près que la société n’est pas une entité abstraite qui ne se concrétise négativement que pour nous tomber sur la tête. L’école, son émanation ratée, est le produit d’un processus historique cousu-main par notre classe politique, toutes composantes confondues. La famille, pas plus que les élèves, ne croient plus à une insertion, encore moins à une promotion sociale par l’école. Une amertume qui s’exprime de différentes manières. La violence scolaire en est une.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION