Riche, puissant, omniprésent, le Grand vizir a longtemps été l’homme fort du royaume avant de tomber en disgrâce. Aujourd’hui, son nom n’est plus associé qu’au tristement célèbre Dar El Mokri, haut lieu de détention secrète et de torture dans le Maroc des années de plomb.
De tous les Marocains, il fut celui qui se hissa au plus haut sommet du Makhzen, et pendant longtemps. Il chevaucha deux siècles, travailla avec sept sultans et participa en première ligne aux grands événements qui ont dessiné l’histoire du Maroc entre la fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème. De conseiller écouté de sultan jusqu’à grand vizir, il plaça ses fils, petits-fils, frère et neveux dans la structure administrative du Makhzen, créant ainsi une dynastie de hauts fonctionnaires qui disparaîtra après sa mort. Mohammed El Mokri est assurément un phénomène politique et un cas à part dans l’histoire du Maroc. Selon le guide Guinness des records, il a battu celui de longévité politique. Mohammed El Mokri est né à Fès. Certaines sources donnent comme date de naissance 1854, et d’autres avancent 1857. On croit même qu’il serait né bien avant, en 1844. En fait, faute d’extrait d’acte de naissance, on n’a jamais su avec exactitude. Lors d’un entretien avec le Grand vizir en juin 1955, l’éphémère Résident général (il restera en poste cinquante jours seulement) Gilbert Grandval donna à son interlocuteur un âge «plus près de cent dix ans que de cent ans». El Mokri descend d’une famille algérienne originaire de Tlemcen. Comme beaucoup de familles notables du Maghreb, les Mokri prétendent descendre d’un saint homme qui aurait vécu au XIVème siècle, Abou Abdallah Mohamed ben Ahmed ben Mohamed ben Aboubakr ben Yahya ben Abderrahman El Koreïchi, dit «Cheikh ben El Makarri». La dynastie des Mokri commence avec son grand-père, Madani, né à Tlemcen en 1807. Ce dernier s’installe à Fès après avoir fui, dit la légende familiale, son pays après la conquête française.
Par Adnan Sebti
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