La politique extérieure d’un pays n’est que la continuité de celle interne, enseigne-t-on dans les bréviaires de stratégie, martelés dans les cours débités aux diplomates en herbe et aux officiers en formation. Les chefs d’État, dans le monde moderne, ont toujours la diplomatie à l’œil, domaine qui leur est réservé. Ribbentrop, Groymiko ont été de simples outils aux mains de Staline. Le style du chef de la diplomatie pourrait changer comme avec Kissinger, adepte de Metternich et son équilibre des forces. Mais, ce n’est pas à Foggy Bottom qu’on trace l’orientation de la politique extérieure américaine.
Quand James Baker sommait Tarik Aziz pour que l’Irak retirât ses troupes du Koweït lors de ce qui était la rencontre, à Genève, de la dernière chance avant « la tempête du désert », celui-ci lui rappelait qu’aucun chef de diplomatie ne peut décider pour les choix stratégiques de son pays.
Le Maroc ne déroge pas à la règle et bon nombre de ministres des Affaires étrangères ont été souvent de simples émissaires ou représentants. Ils ont été rappelés à l’ordre quand ils ont voulu outrepasser leurs limites. Boucetta s’est fait interdire l’accès pour l’entrevue entre Hassan II et Claude Cheysson, ministre des Affaires étrangères français à l’époque, et Filali, enfant de la boîte, s’est longtemps comporté en émissaire royal. L’intermède El Otmani était peut-être un recentrage de la diplomatie. Ce qui était contesté, dans le cas d’espèce, ce n’était pas le style, mais les choix.
Il y a incontestablement une nouvelle diplomatie marocaine. Elle est la continuité de la politique interne. Les axes et les centres d’intérêt ont changé. Elle est appelée à conforter les acquis et s’adapter aux changements qui affectent le monde en profondeur. L’ordre des hiérarchies est bouleversé, les paradigmes ne sont plus les mêmes. La nature des menaces et leur portée ont muté.
Les nouvelles orientations vont plutôt dans ce qui est des rapports verticaux, protéiformes, avec le nord, où les relations économiques et sécuritaires s’imbriquent. Cela est valable pour le Sud. Les acteurs ne sont plus que ceux traditionnels relevant de l’État, mais le secteur privé, les entreprises publiques qui pèsent plus lourd que des départements ministériels, les zaouïas, les officines des droits de l’homme, sont autant d’acteurs opérants et influents.
Une nouvelle donne qui a besoin d’un back-office et aussi d’un style approprié.
L’américanisation du monde s’est traduite par l’appropriation du jargon américain. Le mot aggressive, souvent utilisé par les Américains, est rendu en français par le même terme, alors qu’il n’a pas la même signification. To be aggressive, en anglais américain, voudrait dire, être entreprenant. En France, comme chez nous, le terme connut un glissement sémantique. To be aggressive est souvent compris par le ton fort, le verbe menaçant.
Mais, au-delà des nuances sémiologiques, notre diplomatie n’a pas à être agressive, mais plutôt intelligente. Ce n’est pas tellement Khrouchtchev, tapant avec son soulier sur le pupitre des Nations Unies, qui a eu le dernier mot, mais plutôt une action réfléchie, menée sur le long terme par les Occidentaux autour de la question des droits de l’homme à la conférence d’Helsinki, beaucoup plus que sur la course aux armements. C’est avec la lanière des droits de l’homme que l’ours bolchevique a plié et c’est sous la lanière économique que les Occidentaux œuvrent à dompter l’ours russe.
Un chef de la diplomatie, quand bien même il est partisan, doit s’interdire de mélanger les genres et doit privilégier les intérêts supérieurs de son pays. Ce qui est bon dans un meeting ne l’est pas forcément dans la bouche d’un ministre des Affaires étrangères.
Il est vrai qu’il y a une distinction de style entre le style approprié à la diplomatie bilatérale et celle multilatérale. Une fonction tribunitienne, voire cathartique est toujours liée à la diplomatie multilatérale, doublée d’une expertise technique. Mais les choses sérieuses demeurent du ressort du bilatéral. Moins un diplomate parle publiquement, mieux cela vaut.
Il y a quelques semaines, notre département des Affaires étrangères a été mis à mal par une grande opération de piraterie. On pourrait peut-être y voir le prix de la révolution numérique. Les Américains n’ont-ils pas été mis à nu ? Mais cela ne saurait justifier ce qui est un camouflet. L’opinion publique doit être édifiée et des mesures devraient être prises pour se prémunir à l’avenir. Entre l’hypothèse d’un acte de piraterie, celle interne, d’une fuite préméditée, n’est pas à exclure. Dans l’une comme dans l’autre, la responsabilité humaine n’a pas à être occultée. Il est impératif que des sanctions soient prises.
Comment peut-on se permettre, dans un département aussi sensible, d’avoir des diplomates, à tous les échelons, avec des passeports étrangers ? C’est une question qui relève à la fois de l’éthique et de la sécurité. Mais comment peut-on prétendre à l’intelligence, quand déjà la cohérence, fait défaut ?
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane