Il a été prouvé, depuis des décennies, que la réforme de l’enseignement, nous savions en parler, mais pas la faire. Voilà que nous y revenons à partir de deux portails aussi essentiels que décisifs, la religion et la langue. Rien qu’à évoquer ces deux vocables, on mesure, a priori, l’immensité de la tâche et sa profondeur polysémique aux niveaux social et imaginaire. Cette problématique, pas du tout aisée à approcher, a une histoire et des prolongements dans le présent. Priorité à l’actualité, ce projet, longtemps mis en latence, après moult échecs, vient d’être remis sur le métier. Le lieu lui a donné un supplément de signification. C’est lors d’un Conseil des ministres présidé par le roi Mohammed VI, le 6 février 2016, à Laâyoune, que cette question a été abordée. Le ministre de l’Education nationale, Rachid Belmokhtar, a fait un exposé sur une stratégie de réforme (encore une !) qui promet « une école de l’équité et de l’égalité des chances ; une école de la qualité, de l’ouverture et de la promotion sociale ». Tout un programme. Le discours paraît convenu, du genre qui n’aboutit qu’a du surplace encore plus aggravant de l’existant. Ainsi exposée, cette belle perspective devra emprunter deux passages obligés, l’enseignement religieux et la langue d’enseignement. C’est son label et sa promesse de réussite. Le souverain a appelé à la révision des programmes de l’éducation religieuse. Une révision fondée sur la tolérance, la modération et l’ouverture sur les différentes cultures et civilisations humaines. En somme, la promotion et l’ancrage d’un islam qui valorise la société du savoir, du progrès scientifique et des nouveautés technologiques. S’il y a un besoin de réforme, a fortiori pressant, c’est qu’il existe des choses à réformer dans les textes et dans les esprits. Nous n’en manquons pas. Le meilleur moyen pour s’en convaincre est de parcourir les manuels scolaires et le traitement réservé à la religion. Mohammed El Ayadi, ancien collaborateur de Zamane, aujourd’hui décédé, y a consacré toute une vie de chercheur universitaire. Il a ainsi pu révéler des aberrations monstrueuses où l’incitation à la haine n’est jamais trop loin. Ce qui est aux antipodes d’une culture islamique ouverte sur l’autre, quelle que soit sa distance par rapport à une quelconque orthodoxie dogmatique. El Ayadi a également apporté une réflexion pertinente et éclairante sur « le fondamentalisme d’Etat ». Ce souci d’adaptation de la parole religieuse aux exigences d’une modernité porteuse de progrès a constamment été confronté à une résistance conservatrice qui ne désarme jamais. L’argument souvent mis en avant est celui d’une identité nationale menacée. Les tenants de cette conception identitaire frileuse se mettent, de facto, hors du temps, sans perception convaincante du présent et sans autre offre d’avenir qu’un carcan passéiste, rigoriste et sclérosant.
Les mêmes positions totémiques sont servies à propos de la langue d’enseignement. Le choix du français comme vecteur de transmission du savoir scientifique et technologique dans les écoles a suscité des réactions de rejet du même tonneau d’enfermement et de frilosité. Sur cet aspect primordial de la réforme envisagée, la décision a finalement été prise, après des années d’hésitation et de tergiversations. Le retour au français, dans certains domaines bien circonscrits, part d’un constat impossible à occulter, celui de la baisse du niveau des élèves depuis l’instauration de l’arabisation sur l’ensemble du système éducatif, de la maternelle, qui n’a pas d’existence réelle dans l’enseignement public, au baccalauréat. Il n’est pas surprenant que cette orientation ait été entamée dans les années 1970. C’était une période de grande crispation politique et de risque réel ou potentiel pour un pouvoir qui avait besoin de diversion à l’adresse de l’opinion publique. Avant ces années-là, le système d’enseignement pratiquait un bilinguisme de bonne facture qui aurait pu supporter l’arabisation des matières littéraires, sans plus. Il se trouve que les défenseurs de l’arabe comme langue unique d’enseignement, parmi la classe politique, prennent la précaution de mettre leur progéniture dans les écoles privées ou relevant des missions culturelles étrangères. Dans ces établissements, l’apprentissage des langues est la règle dès la maternelle comme maillon essentiel dans le processus éducatif et cognitif.
Pour être audible, au-delà de cette schizophrénie patente, les chevaliers de l’arabisation totale puisent dans un registre démagogique qui ne trompe plus personne. Ils font le lien entre la langue et un message islamique qui ne passerait par aucun autre vecteur linguistique que l’arabe. Exit donc les centaines de millions de musulmans d’Asie et d’Afrique. Des pays, comme l’Algérie, qui se sont laissé prendre à ce jeu dangereux, l’ont chèrement payé. Après avoir semé un rigorisme de type wahhabite, nos voisins de l’est ont récolté dix années de guerre civile. L’école et ses programmes scolaires régressifs, au nom d’une soi-disant libération des séquelles culturelles de la colonisation, y sont pour quelque chose.
Le Maroc n’était pas loin de subir le même sort. Il a été épargné par une sorte de baraka qu’il fallait bien « méthodiser » pour qu’elle ne relève plus que de l’esprit incantatoire, mais aussi d’une démarche rationnelle et pragmatique. Notre identité plurielle n’en sera pas moins sauve.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION