Il a pris part au coup d’Etat des aviateurs et à la répression du Rif. Il a passé 20 ans à Tazmamart. Salah Hachad, 76 ans aujourd’hui, nous raconte ces événements, et bien d’autres, sans détour ni langue de bois.
Vous avez seize ans lorsque vous vous retrouvez pour la première fois en situation de guerre. Racontez-nous les évènements de Khouribga tels que vous les avez vécus.
J’ai en effet été pris dans une véritable scène de guerre. C’était en août 1954 à l’occasion du premier anniversaire de la déposition du sultan Ben Youssef. La répression coloniale qui s’est abattue sur Khouribga était la conséquence du soulèvement, la veille, de la population d’Oued Zem. Par un concours de circonstances, j’avais accompagné mon oncle dans cette ville. La veille du soulèvement, soit le 19 août, un climat tendu était déjà perceptible. Sentant la dangerosité de la situation, mon oncle me fait embarquer pour Khouribga où il pensait que je serais en sécurité dans le domicile de ma tante. Une crainte confirmée lorsque le soulèvement d’Oued Zem s’est transformé en véritable massacre. Des dizaines de ressortissants étrangers, essentiellement des Français, sont traqués et lynchés par une foule en colère. Les autorités du Protectorat n’ont rien vu venir. Par contre, elles ont mobilisé des forces impressionnantes dans la région dès le lendemain. C’est ainsi qu’à Khouribga, où j’étais censé être en lieu sûr, un mouvement de résistance s’est également organisé. La foule s’est rassemblée aux cris de «le roi sur son trône ». Les gens étaient exaltés et prêts à en découdre. Ce jour-là, toutes les conditions étaient réunies pour un bain de sang. Nous étions un jour de souk hebdomadaire, la population était donc plus nombreuse qu’à l’accoutumée, et les Français avaient mobilisé l’armée pour mater tout mouvement. Pour moi, il était hors de question de rester à l’écart de la manifestation populaire. Je me souviens que ma tante avait tenté de me retenir, et que j’ai dû me débattre au point d’arracher ma chemise pour regagner la rue. Très vite l’agitation s’est transformée en violence extrême.
Quelle a été la réaction des autorités ?
D’une violence inouïe. L’armée est immédiatement entrée en action. Des troupes au sol, des chars d’assaut, et même des avions ont participé à la répression. Le plan de bataille était comme préparé à l’avance. Lorsque la foule a atteint la grande place centrale de Khouribga, les Français étaient déjà à la manœuvre. Au milieu de ce site, se trouvaient des baraquements en forme de bidonvilles. J’ai vu les blindés asperger ce lieu de kérosène avant d’y mettre le feu. Une colonne massive de fumée s’est élevée dans le ciel au point de l’obscurcir. La situation confuse a tourné à la débandade. Nous avions pris peur et chacun a tenté de fuir comme il le pouvait. J’ai réussi à m’engouffrer dans les ruelles dans l’espoir de rentrer à la maison. C’est à ce moment que l’aviation est entrée en jeu. Les chasseurs rasaient les toits et mitraillaient la population. J’ai encore l’image d’un vieux monsieur sur un âne, fauché par une mitraille aérienne sous mes yeux. Malgré la panique, j’ai réussi à localiser la porte d’entrée du domicile de ma tante.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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Il y a manifestement erreur quant à l’âge de Hachad
Si en 1954 il avait 16 ans, donc né en 1938
Son âge est 79 ans aujourd’hui