Comment un projet symbolique, mais stratégique pour l’avenir des relations du Maroc avec les Etats-Unis, est tombé à l’eau. Récit.
Le gouvernement marocain a lancé, en juin 2016, l’AMDIE, qui est le projet de fusion de plusieurs agences de promotion : AMDI, Maroc Export et OFEC. Ce projet m’a rappelé une initiative similaire qui a eu lieu pendant l’année 1967-1968 et à laquelle j’ai pris part personnellement.
Mon diplôme HEC Paris en poche, je suis rentré à Casablanca pendant l’été 1965 où j’ai été immédiatement recruté à l’OCE (Office de Commercialisation et d’Exportation). Cet organisme nouvellement créé devait gérer le monopole à l’exportation de plusieurs produits tels que les agrumes et primeurs, les conserves animales et végétales, le vin et le coton. Cette création ayant été décidée pour s’assurer du rapatriement intégral des devises étrangères provenant de l’exportation de ces produits sur les marchés étrangers. Pendant l’année 1965-1966, j’ai été nommé responsable du marché britannique des agrumes et primeurs. Je me rappelle encore du crépitement du télex qui nous indiquait chaque jour les cours des agrumes et primeurs et les prix obtenus par les produits marocains. Je me souviens aussi du marché de Covent Garden que j’avais visité au centre Londres, et qui était le plus grand marché de fruits et légumes de Grande-Bretagne.
L’année suivante, 1966-1967, j’ai été désigné délégué de l’OCE à Hambourg, en Allemagne, où j’ai remplacé à ce poste un Français qui dirigeait la représentation locale auparavant.
Les ventes d’agrumes et primeurs se faisaient à cette époque aux enchères, et j’assistais chaque semaine à celles de Hambourg et de Brême dont j’étais aussi responsable.
Projet royal
Je suis rentré à Casablanca pendant l’été 1967 pour les vacances. Au mois de septembre de cette année-là, je suis convoqué par le directeur général de l’OCE qui m’annonce, sans entrer dans les détails, une convocation à Rabat chez le Premier ministre, Mohamed Benhima. Ce dernier me reçoit effectivement et m’informe que, sur instruction royale, je devais me rendre à New York pour créer et diriger la Maison du Maroc. Cette Maison devait regrouper, outre le consulat général du Maroc, les représentations de l’OCE, de l’Office National Marocain du Tourisme et de Royal Air Maroc.
De retour à Casablanca, j’informe le directeur général de l’OCE de la mission qui m’a été confiée. J’étais encore célibataire et âgé de 25 ans, et je supputais cette nomination à mon diplôme HEC et à ma connaissance de la langue anglaise. Le directeur général m’annonce, s’agissant de directives royales, que je dois me rendre le plus rapidement possible à New York. C’est ainsi que, fin septembre 1967, je pars avec un billet d’avion et mon salaire de l’OCE.
Arrivé à New York, où personne ne m’attendait à l’aéroport, je me dirige vers l’hôtel à Manhattan, en centre-ville, que j’avais réservé. Je me suis rendu le lendemain au consulat général du Maroc, un appartement de 4 où 5 bureaux où je n’ai trouvé qu’une secrétaire de nationalité française qui assurait la permanence. Elle s’occupait principalement du renouvellement des passeports des Marocains résidant à New York. Je me suis rendu par la suite aux bureaux de représentation de l’OCE, de l’Office marocain du tourisme et de Royal Air Maroc. Alors que le représentant de l’OCE est un cadre marocain, les autres étaient des femmes de nationalité française. Les responsables de ces bureaux m’ont reçu et informé qu’ils n’étaient pas au courant de la création de la Maison du Maroc et que, de toute façon, ils ne pouvaient rien faire sans recevoir d’instructions de leurs supérieurs respectifs. Pour la bonne règle, j’ai également rendu visite à M. Ahmed Taïbi Benhima, alors représentant permanent du royaume auprès de l’ONU à New York, et à M. Ahmed Osman, ambassadeur du Maroc à Washington, pour les informer de l’objet de ma mission.
Je me suis installé dans un bureau disponible au consulat général du Maroc à New York, et j’ai commencé à prendre des contacts avec les autorités de la ville, ainsi qu’avec les milieux d’affaires pour tenter de développer les échanges commerciaux et les investissements au Maroc, encore très faibles à l’époque. Il y avait très peu de documentation sur le Maroc au consulat, et la seule publication que je reçois régulièrement est le CEDIES de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) qui me donnait quelques informations économiques sur le Maroc. Je ne disposais ni de voiture de service, ni de budget pour accomplir ma mission, au demeurant très difficile dans cette grande métropole mondiale.
Seul dans la grande pomme
Les seuls contacts que j’avais au Maroc étaient avec le ministère des Affaires étrangères, censé chapeauter ma mission, car je n’avais pas le droit de contacter directement les autres ministères. C’est ainsi que je reçois dudit ministère des instructions pour rechercher un petit immeuble à New York pouvant abriter les quatre composantes de la future Maison du Maroc. Sur ce, j’ai moi-même chargé une agence immobilière spécialisée pour effectuer les recherches. Après plusieurs semaines de visites sur place, mon choix s’est porté sur un petit immeuble à Manhattan, bien placé et au coût relativement correct. Comme l’offre me paraissait intéressante, j’ai alors transmis la proposition au ministère des Affaires étrangères.
Entre-temps, j’ai pu louer, avec mon salaire OCE, un appartement à proximité du consulat dont le prix à l’époque n’était pas très élevé. Je profitais de mes week-ends pour visiter la fabuleuse ville de New York avec ses principaux monuments : Statue de la liberté, Empire State Building, Wall Street, Broadway… et ses nombreux musées. Mais la visite qui m’a beaucoup ému était celle d’Ellis Island, une île qui a vu le passage (obligé) de millions d’immigrés venus du monde entier pour s’installer aux Etats-Unis. Outre les différents bureaux et matériels qui étaient utilisés à l’époque, de nombreuses photographies montrent les visages des immigrés.
N’ayant pas reçu de réponse de la part du ministère des Affaires étrangères sur la proposition d’immeuble, je suis rentré à Casablanca pendant l’été 1968 pour les vacances. Au mois de septembre de la même année, j’ai rendu visite au directeur général de l’OCE pour lui demander si je devais encore retourner à New York. Il me répond par la négative et me nomme chef du département conserves de l’OCE à Casablanca.
J’ai appris par la suite que le projet de la Maison du Maroc à New York n’a jamais été concrétisé…
Je raconte cette histoire comme un témoignage vieux de cinquante ans, et sans esprit de polémique. Elle démontre qu’un projet public, même voulu par la plus haute autorité de l’Etat, peut échouer s’il n’est pas minutieusement préparé, si les moyens matériels adéquats ne sont pas mis en œuvre, si les principaux partenaires ne sont pas informés et convaincus, et enfin si un suivi rigoureux du projet n’est pas fait. Il est vrai qu’à cette date, l’indépendance du Maroc était très récente puisqu’elle n’avait qu’une dizaine d’années. J’espère que le projet AMDIE, qui ne regroupe à juste titre que trois agences de promotion sous la tutelle d’un même ministère, ne connaîtra pas le même sort.
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)