Depuis que le Sahara domine la région du sud du Maghreb (et une bonne partie du continent), il ne cesse de mener de terribles offensives en direction du nord (et du sud). Depuis des milliers d’années, le Maroc est confronté à ce lent mais irrémédiable processus. Comment s’est organisée la résistance ?
Il y a 12 000 ans à peine, la vaste étendue du Sahara était verdoyante et couverte de lacs. Dans le sud du Maroc, et ailleurs dans cette région de plus 8 millions de kilomètres carrés, des traces archéologiques prouvent que les hommes évoluaient dans un climat humide et quasi tropical. Les peintures rupestres de nos ancêtres reproduisant girafes, éléphants, hippopotames et autres crocodiles viennent confirmer que le désert s’est finalement imposé par la force de la nature dans la région. Sa naissance et son développement font encore l’objet d’études mais nous sommes désormais en mesure d’expliquer son émergence et son expansion.
Avant que les prairies verdoyantes ne deviennent une immensité aride, la région du Sahara profitait pleinement de la mousson et de pluies abondantes. Mais il y a 12 000 ans environ, un changement climatique est venu modifier durablement la géographie de la zone. Les rayonnements solaires qui succèdent à la dernière période de glaciation soumettent le Sahara à un réchauffement accru. Les masses d’air chaud chargées d’humidité glissent progressivement vers l’équateur et plongent la région dans la sécheresse. Ce processus dure à peu près 6000 ans, façonnant le Sahara tel que nous le connaissons aujourd’hui. Vers l’an 3000 avant JC, un réchauffement climatique planétaire vient confirmer la tendance et isole cette vaste partie de l’Afrique, qui s’étend de la mer Rouge à l’Atlantique. Mais si la désertification ne faiblit pas au cours des millénaires qui suivent, c’est en partie à cause de l’activité humaine. En effet, le pâturage et l’exploitation des terres agricoles favorisent l’avancée des poussières et du sable du Sahara. Pourtant, l’homme, en partie responsable de l’offensive du désert, a très tôt appris à y faire face.
Les anciens contre le désert
Le plus bel exemple d’adaptation humaine aux conditions de vie terribles dans le Sahara demeure celui de la civilisation égyptienne. Certes, l’antique peuple des pharaons a su profiter des bienfaits du Nil et de son delta en crue, mais il n’était pas à l’abri de la raréfaction des ressources les années sèches. Pourtant, entre 3000 et 1000 avant J.C, cette civilisation s’est hissée au sommet de la race humaine. Le secret de l’organisation égyptienne réside dans une politique inédite de gestion des ressources. Elle résulte d’abord de l’avancée des sciences, surtout les mathématiques.
De nouvelles connaissances qui permettent aux dirigeants de centraliser la collecte puis de procéder à la redistribution des ressources en eau et en nourriture. Cette collectivisation, dont le modèle est repris par les civilisations suivantes dont la nôtre, rompt avec les risques inhérents à une gestion individuelle aléatoire. A la même époque, le sud du Maroc est peuplé de tribus nomades. A défaut d’une politique centralisée et organisée, ces tribus se sont adaptées aux conditions arides grâce à une valeur pérenne et indispensable : la solidarité. Dans le désert ou dans les régions arides comme le Draâ et le Tafilalt, la rareté de l’eau oblige au partage. Les siècles qui suivent voient les hommes apprivoiser les points d’eau vitaux, nécessaires à ces contrées où les déplacements sont souvent périlleux. Les oasis naissent autour d’une source hydrique, une nappe phréatique proche de la surface ou d’un résidu fluvial. Les hommes apprennent à les localiser mais surtout à en tirer profit. Les oasis deviennent indispensables à l’économie de la région depuis des siècles, en constituant des étapes incontournables au commerce caravanier. Dans le sud du Maroc, leur existence a permis l’émergence d’axes commerciaux entre les contrées subsahariennes et les villes du nord et de l’intérieur du pays. Les dynasties amazighes du Moyen-âge, issues du désert, ont ainsi pu tirer leur puissance de la connaissance du terrain et de leur savoir-faire en matière de lutte contre la désertification. Néanmoins, l’avancée des sables n’est pas tout le temps maîtrisable. Des villes entières, à l’instar de Sijilmassa, ont été ensevelies.
Un combat d’actualité
Le Maroc du XXème siècle n’a pas réussi à résoudre la problématique de la désertification. Au temps du Protectorat, les autorités françaises n’ont eu de cesse d’étudier le processus et de tenter de le contrer. Leur savoir-faire technique et mécanique redéfinit la distribution hydrique dans les grandes villes du sud, mais l’exploitation toujours plus accrue des terres agricoles et des mines ouvre des brèches dans les barrières naturelles pourtant imposantes, comme le Haut-Atlas.
Le surpâturage des zones pastorales contribue également à l’avancée du désert sur des terres autrefois épargnées. Après l’indépendance, la pression démographique conduit à une exposition plus importante des populations. L’ensablement gagne désormais des zones urbaines et des régions entières sont abandonnées. L’Etat, conscient que sa stabilité dépend en grande partie de la gestion des ressources hydriques, fait de la lutte contre la désertification un enjeu majeur. Hassan II avait fait de la politique des barrages une action vitale pour un pays encore très largement dépendant de son agriculture. Ainsi, plus d’une centaine de barrages de plus ou moins grande importance ont été édifiés durant son règne. Les différentes études ont également insisté sur l’obligation pour le royaume de procéder à une reforestation, technique efficace face à l’avancée du désert. Plus de 500 000 hectares ont pour le moment été reboisés, freinant la désertification, au moins temporairement et dans certaines zones.
Par Sami Lakmahri