Il a été suffisamment dit que l’Afrique était la terre de notre avènement à l’histoire, de notre éclosion et notre enracinement en tant qu’état-nation. Cette vérité première ne pouvait être démontée, quels que soient les aléas politiques au fil des ans et des siècles. Mais cette donnée fondamentale avait besoin d’être vérifiée, remise au goût du jour et des impératifs du moment. C’est précisément ce processus d’actualisation, de mise en conformité avec le contexte, qui semble se mettre en place.
Effectivement, s’il y a un signe qui marque profondément le règne du roi Mohammed VI, c’est notre rapport à l’Afrique. Les multiples périples africains du souverain expriment à la fois un retour aux sources et une projection vers le futur immédiat. C’est pratiquement devenu une marque de fabrique, avec l’ambition annoncée que celle-ci s’inscrive dans la durée. Avant cela, il fallait d’abord s’inscrire dans une réalité africaine et son unité plurielle pas toujours facile à cerner. Une chose est d’ores et déjà acquise : nos efforts pour un développement durable sur l’ensemble de notre espace national, de l’extrême nord à l’extrême sud, passe par l’Afrique. Il transcende les situations géographiques et les aires linguistiques. Pas besoin d’avoir fait des études supérieures de commerce ou de géopolitique pour savoir que le continent africain sera, avec l’Asie, durant les cinquante prochaines années, l’un des principaux moteurs de la croissance dans le monde. Dans les hauts lieux de la finance internationale, qui ont le planisphère constamment sous le regard, il n’est pas question d’ignorer cette perspective d’un demain prometteur.
En attendant que cette projection se réalise, il faudra forcément faire avec un continent qui comptera deux milliards d’âmes dans 37 ans et ne pourra subvenir qu’à 13% de ses besoins alimentaires. Les flux migratoires vers les eldorados imaginaires du Nord n’en seront que proportionnellement conséquents. Ce qui est déjà le cas des pays destinataires qui assistent aux épisodes dramatiques et répétés de ce vaste mouvement de populations. Il faut reconnaître que face à ce phénomène, le Maroc s’en est plutôt bien sorti. Finalement, entre la rapine organisée de la colonisation et la gestion désastreuse d’une Afrique mal partie, la ligne d’horizon relève toujours du clair-obscur. Jamais, au grand jamais, le primat économique n’aura autant prévalu. La nouvelle politique africaine du Maroc a pris acte de cette réalité actuelle et de ses développements dans un futur proche. L’offre marocaine est fondée sur une coopération Sud-Sud foncièrement pragmatique, du genre gagnant-gagnant. En somme, une invite à se libérer du giron Nord-Sud et de ses manipulations des termes de l’échange sur le marché mondial. Les secteurs d’intervention du Maroc et les conventions signées avec les pays visités versent dans le sens d’une Afrique complémentaire et solidaire. Il est entendu que derrière ces initiatives marocaines à caractère économique et social se profile l’affaire récurrente du Sahara. Comme chacun sait, la sauvegarde de l’intégrité territoriale du royaume est une question nationalement existentielle. La volonté annoncée du Maroc de réintégrer l’Union africaine (UA) participe de cette démarche. Une sorte de compte à rebours qui part à la recherche du temps perdu. L’Algérie, fidèle à sa théorie du « caillou dans la botte marocaine», ne l’entend pas de cette oreille. Elle préfère un Maroc qui s’est lui-même mis en congé de l’Afrique. Tout en étant présent dans la marge. Une posture qui s’est avérée à la longue improductive. Il était temps de réévaluer cette stratégie. La réaction de l’Algérie des généraux ne s’est pas fait attendre. La mobilisation du dispositif diplomatique algérien aux quatre coins du continent a été décrétée. Du coup, l’Afrique, qui avait suffisamment affaire avec ses maux de toujours, est devenue le théâtre d’un affrontement nourri et entretenu par Alger.
Pendant longtemps, les pétrodollars algériens ont coulé à flots et servi de moyen de persuasion imparable. Sauf qu’aujourd’hui, tout indique que l’Algérie n’a plus les moyens de sa politique. Suite à la baisse tendancielle du prix du baril, son économie, hyper-indépendante, est en panne. Et ses commis-voyageurs, qui font fonction de diplomates, sont à court d’arguments.
La diplomatie marocaine est appelée à s’engouffrer activement dans cette brèche structurelle du dispositif algérien, d’ici l’ouverture du sommet de l’UA en janvier 2017 à Addis-Abeba.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION