Du tandem Mahmoud Hussein à Thomas Carlyle, en passant par Nietzsche ou Lamartine : une sélection de textes qui brossent un autre portrait du prophète de l’islam.
Le choix d’un prénom
Abdallah partit au pays de Sham pour y faire du commerce. A son retour, il descendit chez ses oncles maternels les Banu Al-Najjar, à Yathrib. Il tomba malade et mourut avant que sa femme eût accouché, laissant peu de biens à l’enfant qui allait naître.
Amna (mère du Prophète, ndlr) fit prévenir Abdelmouttalib, grand-père du nouveau-né.
– Il t’est né un garçon. Viens le voir.
Abdelmouttalib se rendit chez elle, prit son petit-fils et le porta dans ses bras jusqu’à la Kaaba. Il remercia Dieu de lui avoir fait ce don et le pria d’accorder à son petit-fils aisance et prospérité. Puis il ramena l’enfant chez sa mère et, comme le voulait la coutume, se mit à la recherche d’une nourrice. Il fit sacrifice d’un bouc et nomma le nouveau-né Muhammad. Les gens s’en étonnèrent :
-Pourquoi le nommer Muhammad ? Pourquoi ne pas lui donner le nom de tes ancêtres ?
Abdelmouttalib répondit :
-Je veux le voir loué par Dieu dans le Ciel comme par les gens sur la Terre.
(Mahmoud Hussein, Al-Sira, 2005)
Saper les superstitions
Jamais un homme ne se proposa, volontairement ou involontairement, un but plus sublime, puisque ce but était surhumain: saper les superstitions interposées entre la créature et le créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie…
Jamais homme n’accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans le monde…
Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ?
Les plus fameux n’ont remué que des armes, des lois, des empires; ils n’ont fondé, quand ils ont fondé quelque chose, que des puissances matérielles, écroulées souvent avant eux. Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d’hommes sur un tiers du globe habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes.
Il a fondé sur un Livre, dont chaque lettre est devenue une loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues et de toutes les races, et il a imprimé, pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane, la haine des faux dieux et la passion du Dieu un et immatériel…
Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes rationnels, d’un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mahomet.
(Lamartine, L’histoire de la Turquie, la vie de Mahomet, 1er Tome, 1854-1855)
Songe et Prophétie
La nuit où naquit Muhammad Ibn Abdellah, la salle du trône de Khusrû, Roi des Perses, trembla, ses balcons s’effondrèrent et la flamme sacrée s’éteignit brusquement, ce qui n’était pas arrivé depuis mille ans. Par ailleurs, le lac de Sawa déborda et le grand prêtre vit en songe des chameaux entraînant à leur suite des chevaux arabes qui, après avoir traversé le Tigre, se répandaient dans le pays.
Khusrû, réveillé en sursaut, fut épouvanté par ce qu’il vit. Il ne put garder la chose pour lui. Il convoqua ses ministres et ses satrapes et les reçut, assis sur son trône, sa couronne posée sur la tête. A peine les avait-il mis au courant de ce qui s’était passé dans son palais, qu’on lui apporta une missive l’informant que la flamme sacrée s’est éteinte partout dans le pays. Son affliction redoubla. Puis le grand prêtre dit :
– Dieu protège le roi, j’ai moi-même eu une vision cette nuit. Il raconta au roi la vision qu’il avait eu de chevaux arabes traversant le Tigre. Et le roi demanda :
– Que penser de ce songe, grand prêtre ?
– Il nous arrivera une chose terrible, venant de chez les Arabes.
(Mahmoud Hussein, Al-Sira, 2005)
Il a fait trembler l’empire romain
Ce fut certainement un très grand homme, et qui forma de grands hommes. Il fallait qu’il fût martyr ou conquérant, il n’y avait pas de milieu. Il vainquit toujours, et toutes ses victoires furent remportées par le petit nombre sur le grand. Conquérant, législateur, monarque et pontife, il joua le plus grand rôle qu’on puisse jouer sur la terre aux yeux du commun des hommes. J’ai dit qu’on reconnut Mahomet pour un grand homme; rien n’est plus impie, dites-vous. Je vous répondrai que ce n’est pas ma faute si ce petit homme a changé la face d’une partie du monde, s’il a gagné des batailles contre des armées dix fois plus nombreuses que les siennes, s’il a fait trembler l’empire romain, s’il a donné les premiers coups à ce colosse que ses successeurs ont écrasé, et s’il a été législateur de l’Asie, de l’Afrique, et d’une partie de l’Europe.
(Voltaire, Essai sur les mœurs, 1770. Vingt-huit ans après sa pièce de théâtre intitulée «Mahomet ou le fanatisme» où l’islam est fustigé, Voltaire a radicalement évolué sur la question du prophète et de l’islam, qu’il préfère dorénavant au christianisme et par opposition à l’ethnocentrisme européen).
Par le seul concept de l’Unique
Et c’est une œuvre immense que Mahomet a accomplie, par le seul concept de l’Unique, il a soumis l’univers entier.
Y (Gœthe, Divan occidental-oriental, le dernier recueil poétique majeur composé par Johann Wolfgang von Gœthe, très inspiré de la poésie persane. Il comprend douze livres parus de 1819 à 1827)
Le cœur plutôt que l’épée
Je voulais mieux connaître la vie de celui qui aujourd’hui détient indiscutablement les cœurs de millions d’êtres humains. Je suis désormais plus que jamais convaincu que ce n’était pas l’épée qui créait une place pour l’islam dans le cœur de ceux qui cherchaient une direction à leur vie. C’était cette grande humilité, cet altruisme du Prophète, l’égard scrupuleux envers ses engagements, sa dévotion intense à ses amis et adeptes, son intrépidité, son courage, sa confiance absolue en Dieu et en sa propre mission. Ces faits, et non l’épée, lui amenèrent tant de succès, et lui permirent de surmonter les problèmes.
(Gandhi, extrait du journal Young India, cité dans «The light», Lahore, 1924)
Un nouveau peuple, une nouvelle puissance
Mahomet fut un grand homme, intrépide soldat: avec une poignée de monde il triompha au combat de Badr ; grand capitaine, éloquent, grand homme d’Etat, il régénéra sa patrie, et créa au milieu des déserts de l’Arabie un nouveau peuple et une nouvelle puissance.
L’Arabie était idolâtre lorsque Mahomet, sept siècles après Jésus-Christ, y introduisit le culte du dieu d’Abraham, d’Ismaël, de Moïse et de Jésus-Christ. Mahomet fut prince ; il rallia ses compatriotes autour de lui. En peu d’années, ses Moslems conquirent la moitié du monde. Ils arrachèrent plus d’âmes aux faux dieux, culbutèrent plus d’idoles, renversèrent plus de temples païens en quinze années, que les sectateurs de Moïse et de Jésus-Christ ne l’ont fait en quinze siècles. Mahomet était un grand homme.
Mahomet réduisit le nombre de femmes qu’on pouvait épouser ; avant lui, il était indéterminé ; le riche en épousait un grand nombre ; il restreignit donc la polygamie.
(Napoléon Bonaparte, Journal de Sainte-Hélène 1815-1818)
Plus loin, plus haut que les autres
Platon pensait faire pour tous les Grecs ce que fit plus tard Mahomet pour les Arabes : fixer les coutumes importantes et surtout le mode de vie journalier de chacun. Ses idées étaient aussi sûrement réalisables que le furent celles de Mahomet : des idées beaucoup plus incroyables encore, celles du christianisme, se sont montrées réalisables !
(Nietzsche, Aurore, 1881, livre cinquième, aphorisme 496)
Un homme sincère
Une grande âme silencieuse; il était de ceux qui ne peuvent être autrement que sincères et convaincus, et que la nature elle-même a créés sincères. Alors que d’autres se complaisent dans des formules et des ouï-dire, contents de leur sort, cet homme ne pouvait se soustraire aux formules. Il était seul avec sa propre conscience et la réalité des choses… Une telle sincérité, ainsi qu’on veut bien la nommer, possède en réalité quelque chose de divin. Le discours d’un tel homme est semblable à la voix qui émane du cœur même de la nature. Les hommes écoutent et doivent écouter ce discours mieux que tout autre… Le reste n’est que futilité en comparaison.
(Thomas Carlyle, écrivain, satiriste et historien écossais, Heroes, Hero Worship, and the Heroic in History, Londres, 1840)
Un homme d’Etat plein de sagesse
Certains lecteurs seront peut-être étonnés de me voir placer Muhammad en tête des personnalités ayant exercé le plus d’influence en ce monde, et d’autres contesteront probablement mon choix. Cependant, Muhammad est le seul homme au monde qui ait réussi par excellence sur les plans religieux et séculier. Nous pouvons discerner trois dons importants que Muhammad a reçus. Il a été doté d’une faculté spéciale de voir l’avenir, il fut un homme d’Etat plein de sagesse et un administrateur plein de tact et d’habileté. Plus on réfléchit à l’histoire de Muhammad, plus on est stupéfait de la grandeur d’une telle œuvre. Quiconque ayant étudié la vie et la personnalité du grand prophète d’Arabie ne peut que ressentir de la vénération pour cet éminent prophète.
(Michael Hart, mathématicien, Les 100 : classement des personnes les plus influentes de l’histoire, 1978)
Editing Zamane