Au fil du temps, le Maroc a su conserver ses savoir-faire ancestraux. De la construction de maisons à l’irrigation des champs, toutes ces techniques utilisent l’environnement naturel avec intelligence et respect, collant de près aux problématiques du monde actuel. Tour d’horizon.
Pisé : Des maisons en terre et en palmier
Depuis les temps les plus reculés, différentes sociétés ont construit leurs habitats en utilisant la terre. Au Maroc, cette technique ancestrale, utilisée pour les murailles des villes impériales et les casbahs, est toujours d’actualité, notamment dans les vallées du Drâa, du Dadès, du Todra et du Ziz, mais aussi dans les régions enclavées entre les chaînes du Haut-Atlas, de l’Anti-Atlas et le désert, ou encore dans la province d’Ouarzazate. Cette technique, reconnue dans le monde entier et étudiée par les architectes contemporains, est un système de construction en terre crue, comme la bauge ou le torchis. On le met en œuvre dans des coffrages, traditionnellement appelés banches, fabriqués à l’aide de palmiers. La terre est idéalement graveleuse et argileuse, mais on trouve souvent des constructions en pisé réalisées avec des terres fines. Très esthétique, le pisé est également solide, durable et jouit d’un bilan écologique irréprochable (excellent bilan thermique, facilement dégradable, 100% naturel). L’architecture de terre et de pisé a été utilisée pour bâtir des ksours, des casbahs, des murailles et des fortifications dont les tonalités varient entre l’ocre, le rouge ou le blanc, en fonction de la terre des régions. Cette architecture intéresse au plus au point l’UNESCO et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), qui soutiennent des programmes de préservation et de sauvegarde avec le ministère marocain de la Culture. Aujourd’hui, plusieurs projets immobiliers et maisons d’hôtes, qui souhaitent développer l’éco-tourisme, ont opté pour des édifices construits en pisé. Il n’y a pas que les maisons qui sont construites en terre au Maroc. Utilisé à l’origine par les nomades, le four à pain en argile et en paille (en terre et en paille ou encore en bouse de vache et en paille), appelé afurnu, est utilisé au royaume depuis toujours. Construit à même le sol ou surélevé, ou encore sur une petite terrasse (dans les terrains en pente), ce type de four se fabrique avec les matériaux que l’on trouve sur place. Il est donc économique et possède un deuxième avantage : la rapidité de chauffe. Construit sans abri, il résiste aux intempéries environ 4 ans. Si on le protège d’un petit abri, il peut durer toute la vie.
Tadelakt : Ecolo, imperméable et beau
En vogue depuis de nombreuses années, le tadelakt, un mot amazigh qui provient du verbe dalaka, signifiant masser, frotter, polir ou aplanir, est un enduit lissé et poli au galet fabriqué à partir de chaux et d’eau. Ecologique et esthétique, il est surtout imperméable et peut aussi bien être posé à l’intérieur comme à l’extérieur. La technique originale est née en Andalousie, à l’époque où l’Espagne est conquise par les musulmans. Après la Reconquista, les musulmans réfugiés au Maroc apportent avec eux leur savoir-faire. Cependant, c’est à Marrakech que l’on trouve la plus ancienne trace de tadelakt : le bassin de la Ménara. Effectivement, le tadelakt est essentiellement utilisé pour des lieux humides et chauds, comme les hammams ou les salles de bain. Très élégant, il a également été exploité dans de nombreux palais. Il est aussi connu pour être antibactérien et assainissant. Le tadelakt est fabriqué à base d’une pâte de chaux colorée avec des pigments naturels. Il se passe en sept ou onze couches fines successives, puis se lisse traditionnellement avec un galet, ou des spatules métalliques. Du savon noir à base d’huile d’olive est appliqué après chaque couche, ce qui permet à la chaux d’acquérir ses propriétés hydrofuges. Une technique plus moderne permet de poser le tadelakt en une seule passe avec de la chaux de Marrakech, réputée pour ses multiples qualités ; cette variante est cependant moins durable que la technique traditionnelle.
Poterie : Un savoir-faire multimillénaire
A l’intérieur de nombreuses maisons marocaines, plusieurs objets de la vie quotidienne sont également 100% écolos. Les plats à tajines ou encore les cendriers, fabriqués à Safi, Rabat ou Fès, en grande majorité par des hommes, sont conçus à partir de l’argile, mais sont toutefois recouverts d’émail ou de vernis. Dans le Rif, au nord du royaume, il existe une exception dans la fabrication de la poterie au Maroc. Celle-ci est réalisée par des femmes avec une technique ancestrale, complètement différente. Les potières montent aux colombins l’argile rouge, c’est-à-dire sans tour. Cette poterie rurale ne contient ni vernis ni peinture et a des propriétés exceptionnelles, elle est saine (puisqu’il n’y pas de vernis) et 100% argile. Chacune des pièces est ensuite cuite dans un four traditionnel pendant près de 12 heures.
La technique primitive de la céramique apparaît 6000 ans avant JC et la poterie modelée du Rif s’apparente aux poteries de l’âge de bronze du pourtour méditerranéen. L’invention du tour mécanique en 2500 avant JC n’a pas eu d’influence sur le travail de ces potières, qui ont conservé leurs propres techniques, preuves d’un fort attachement à la culture préislamique berbère. Depuis une ou deux décennies, ce savoir-faire est malheureusement en déperdition.
Tannerie : Naturel de bout en bout
Encore un savoir-faire artisanal, si ce n’est un art, qui se pratique depuis des siècles au Maroc. La tannerie s’est propagée dans le royaume sous la dynastie des Almohades, au XIIème siècle. Aujourd’hui encore, les mêmes techniques sont scrupuleusement respectées. La tannerie traditionnelle de Chouara, à Fès, est une institution en la matière, elle existe depuis près de 900 ans et emploie encore plus de 500 maîtres artisans, qui travaillent chaque jour dans les 1.200 bassins. C’est ce savoir-faire dans le travail du cuir qui a permis au Maroc de donner son nom à la maroquinerie. A Chouara donc, les matériaux travaillés sont les mêmes qu’au XIIème siècle : peaux de mouton, de vache, de chèvre et de chameau, qui subissent un procédé complet de trente jours. Elles sont d’abord plongées plusieurs jours dans des bassins remplis de chaux, de fiente de pigeon et d’ammoniac, puis trempées dans de la fleur de pavot pour le rouge, de l’indigo pour le bleu, du henné pour l’orange, ou encore de la menthe pour le vert. Enfin, les peaux sont rincées, puis séchées au soleil pendant trois jours. Ce savoir-faire séculaire est lui aussi en péril. Pour le préserver, la médina de Fès, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a fait peau neuve. En 2014, L’Agence pour le développement et la réhabilitation a débloqué 30 millions d’euros pour rénover les 280 hectares de la vieille ville.
Canaux d’irrigation : La sophistication à l’état pur
A la base, la plaine de Marrakech (Haouz) aurait dû être le prolongement du désert marocain. Il n’en est rien, puisque cette zone géographique est couverte de grandes étendues de verdure. Comment est-ce possible ? Grâce à plusieurs techniques ancestrales d’irrigation, également utilisées dans la vallée du Drâa. Parmi elles, la khettara ou qanât (qui ressemble à un aqueduc souterrain), le procédé d’irrigation le plus employé autour de Marrakech. Il s’agit de canaux souterrains qui pénètrent dans le sol sous une faible pente, 1 à 2 pour mille, de sorte que la plaine ayant une pente au moins égale à 1%, ils se trouvent à un parcours de trois ou quatre kilomètres, à une profondeur de trente à quarante mètres, par conséquent à l’intérieur de la nappe phréatique. L’eau suinte alors le long des parois de la partie captante et s’écoule lentement vers sur le fond du canal enduit d’argile, jusqu’à l’orifice situé du côté nord. L’autre technique s’appelle séguia, qui consiste à réguler à l’aide d’un barrage le débit d’un oued pour en utiliser l’eau en l’amenant par des canalisations au niveau des terres à irriguer. « Il s’agit donc de barrer le quart ou la moitié du lit d’un oued avec un épi de moellons cimentés. L’eau, retenue en amont de l’épi, s’écoule par une dérivation établie à flanc de vallée, jusqu’aux champs et aux vergers», décrit P. Fénelon, en 1941, dans un article consacré à ces procédés et publié dans le bulletin de l’Association des géographes français.
Par Nina Kozlowski