Pour déterminer qui, du Maroc ou de l’Espagne, est propriétaire de l’ilot Leila (ou Perejil), l’Histoire est pour ainsi dire seule compétente.
A l’été 2002, au plus fort de la crise maroco-espagnole, la majorité des observateurs, qui n’avaient jamais entendu parler de cet îlot se sont efforcés de le repérer sur les cartes reproduites par les quotidiens d’information. L’île Leila (ou Perejil) est en fait située à 200 mètres de la côte marocaine, dans les eaux territoriales du Maroc, à 40 km de Tanger, 14 km de l’Espagne et 8 km de Ceuta et s’étend sur 13,5 hectares. Elle est inhabitée même si elle est régulièrement fréquentée par des pêcheurs et des éleveurs de caprins résidant aux alentours du Jbel Moussa.
Que dit l’Histoire ?
La première trace de l’île dans les documents d’archives espagnoles remonte au XIXe siècle. Encore faut-il signaler que, parmi les auteurs du XIXe et XXe siècle qui ont consacré leurs recherches au Maroc, très peu ont fait référence à l’île de Perejil. Au cours de la guerre franco-britannique, l’Espagne étant alors alliée de Napoléon, l’Angleterre occupe l’île temporairement en 1808 dans le but d’exercer une pression sur Ceuta qui, de son côté, est soumise à un blocus naval de la part des Anglais. La Gazette de Madrid rend compte de l’événement en ces termes : «Le 28 mars un détachement de 300 hommes de la garnison de Gibraltar a pris l’île de Perejil qui appartient à l’empire marocain » (Carlos Posac Mon, Prélude à la guerre d’indépendance dans la zone de Gibraltar, carnets d’archives municipales de Ceuta, 1997). L’Angleterre qui avait occupé l’île avec le consentement du sultan, se retire selon son bon vouloir, malgré les protestations de l’Espagne qui ambitionne d’en prendre possession. S’ensuivent plusieurs tentatives espagnoles pour occuper l’île, mais toutes échouent. Après l’occupation des îles Jaafarines en 1848, sous le gouvernement du général Narvaez, l’Espagne projette encore une fois d’occuper l’île de Perejil, mais ses desseins sont contrariés par l’opposition de l’Angleterre. Dans son œuvre La question du Maroc du point de vue espagnol (1905), Gabriel Maura Gamazo écrit à ce sujet : « Nous n’avons pas pu nous approprier non plus l’île de Perejil du fait de l’opposition de l’Angleterre. Cet échec devrait nous servir de leçon ; nous n’obtiendrons jamais rien au Maroc, si nous ne garantissons pas à l’Angleterre la neutralité du détroit de Gibraltar ou tout au moins notre neutralité vis-à-vis de l’Angleterre dans le détroit ».
A l’opposition de l’Angleterre, il faut bien sûr ajouter celle des Marocains eux-mêmes. Quand il aborde les événements de 1887, Gabriel Maura Gamazo écrit : « Une commission espagnole qui avait entrepris des préparatifs pour les travaux de construction d’un phare fut assaillie par des Marocains venus de Tanger qui détruisirent les fondations de ce premier ouvrage ». Pour sa part, Tomas Garcia Figueras, dans Action de l’Espagne en Afrique du Nord (1941), rend compte de l’incident en ces termes : « L’Espagne a fait un faux pas en envoyant une commission d’études sur l’île de Perejil. Le Sultan du Maroc a protesté du fait qu’il s’agissait d’une action menée sur son territoire sans son autorisation préalable et le plus grave dans cette affaire c’est qu’elle a révélé un haut degré d’ignorance dans les milieux dirigeants de la politique espagnole, vu que nous avons dépêché cette commission en croyant, alors qu’il n’en était rien, que cette île nous appartenait ».
Que disent les traités ?
De tous les traités entre l’Espagne et le Maroc ou avec d’autres puissances en relation avec le Maroc, depuis celui signé le 1er mars 1799 à celui du 29 décembre 1916, aucun ne fait la moindre allusion à cette île. Ceux relatifs à l’extension des limites de Ceuta, comme celui de Tétouan du 29 avril 1860 ne la mentionnent pas non plus. Nulle trace non plus de l’île dans la convention franco-marocaine du 30 mars 1912 établissant le protectorat au Maroc, ou dans la convention hispano-française du 27 novembre de la même année. On peut donc en déduire que l’Espagne n’a jamais pu exercer sur cette île un quelconque droit de souveraineté et que, même si cela n’est pas explicitement mentionné, cette île faisait partie de la zone du Protectorat espagnol. Pour les mêmes raisons, il est révélateur qu’aucune fortification n’ait été construite sur l’île conformément à l’article 7 de la déclaration franco-britannique du 8 avril 1904 et l’article 14 de la convention franco-espagnole du 3 octobre de la même année qui stipulent que pour assurer le libre passage dans le détroit de Gibraltar, les deux gouvernements conviennent de ne pas permettre que s’érigent des fortifications ou ouvrages stratégiques sur la côte marocaine comprise entre Melilia et les hauteurs de la rive droite du Sebou sur la côte atlantique. Tomas Garcia Figueras, idéologue de l’africanisme militaire de l’époque franquiste établissait une nette distinction entre les places de souveraineté espagnoles qu’il énumère avec exhaustivité sans mentionner l’île de Perejil, et la zone du Protectorat en précisant que « les places de Ceuta et Melilla disposaient d’une aire extérieure de souveraineté dont les limites avec le Maroc ont été établies par Traités. Il convient donc, pour éviter toute confusion commise si fréquemment et lamentablement par l’Espagne, de bien distinguer les territoires de souveraineté et le reste de sa zone de Protectorat où tous les actes sont pris au nom du Khalifa du Sultan dans les limites tracées par les accords internationaux ». Il en résulte qu’à l’évidence l’île de Perejil n’a jamais fait partie des places espagnoles de souveraineté, mais bien du protectorat, de telle sorte que lorsque le Maroc obtient son indépendance en 1956, l’îlot se retrouve logiquement dans le nouvel Etat indépendant.
Par Maria Rosa de Madariaga
Historienne spécialiste du Maroc, elle est notamment auteure de L’Espagne et la Guerre du Rif et Les Marocains enrôlés par Franco
Pourquoi l Espagne continue t elle a occuper Sebta et Melilia alors que les temps de colonisation sont revolus?