Artiste plasticienne, exploratrice de sens, Amina Benbouchta a repris son bâton de pèlerin pour notre plus grand plaisir. Dans sa nouvelle expo intitulée « traversées » elle fouille les sentiers de la mémoire intérieure pour nous offrir une œuvre radicale, allégorie de la condition féminine au Maroc… Métaphore de l’incarcération de la femme dans la gangue de l’histoire personnelle, puis de sa libération des chaînes des légendes et tabous familiaux.
En résidence artistique dans une des plus anciennes demeure des Habous à Casablanca -Dar al Kitab- elle explore cette fois-ci la mémoire. La sienne et celle des autres, dont elle veut rassembler les fragments éparpillés et en exposer à sa manière le mécanisme labyrinthique. Sa quête a débuté avec un coffret rempli d’archives familiales à la fois héritage d’un temps à jamais disparu, mais aussi éléments fondateurs de ce qu’elle est devenue. De ces artefacts, lettres manuscrites à l’élégante écriture arabe mais aussi simples listes de courses ou livres de comptes, elle construit en ce moment même sa nouvelle œuvre. Le processus créatif prend également appui sur l’espace de Dar al kitab, réminiscence de la demeure familiale à Fès. Amina Benbouchta fusionne symboliquement ces deux espaces l’un de pierre et l’autre de papier, pour accoucher d’un espace autre ou l’hétérotopie… C’est là la double fondation de sa création, de sa recherche artistique. Une création labyrinthique et mystérieuse dans lequel Amina Benbouchta s’engouffre : « Mon travail fonctionne comme un rébus, un cryptogramme, je crois en la figure de l’artiste qui décrypte le mystère », nous lance-t-elle sur un air malicieux. Spéléologue des âmes, elle s’offre deux mondes, L’un utopique, l’autre dystopique, un monde imaginaire merveilleux et un autre tout aussi imaginaire mais repoussoir. Ce travail dont le fil d’Ariane est celui de la calligraphie arabe s’inspire de la méthode de Louise Bourgeois. Cette artiste majeure de la seconde moitié du 20e siècle a pour leitmotiv une création enracinée dans la mémoire, l’émotion, la réactivation des souvenirs d’enfance. C’est là précisément l’ADN de la nouvelle œuvre d’Amina Benbouchta bâtie sur un langage personnel et entièrement autobiographique. Elle a su questionner la matrice de son histoire pour mieux éclairer sa condition de femme au Maroc. Elle offre à nos regards émerveillés des œuvres nouvelles dont l’une des pièces majeures est un « corail-arbre généalogique » enfermé dans une cage en fer. Allégorie d’une histoire personnelle si difficile à transcender. Car Il y a de « l’Alice au merveilleux pays de l’inconscient » chez cet elfe à la Chevelure flamboyante, menue et pourtant débordante d’une énergie formidable. Cette exploratrice des âmes et des « non-dits » a même imprimé sa marque aux lieux. Dès qu’il pénètre l’espace de Dar al Kitab et avant même d’apercevoir sa création, le visiteur est frappé par l’atmosphère très particulière qui règne dans cet espace. Les Deux escaliers en damier blanc et noir qui mènent vers l’espace d’exposition à proprement parlé, rappelle l’univers de Lewis Carol… Les deux bouts de la ligne droite se rejoignent en un cercle parfait.
(jusqu’à fin octobre 2016 à Dar El Kitab, Casablanca)
Par Jamal Azouaoui