Il paraît que chez certains peuples primitifs, ce sont les hommes qui gardent le lit après l’accouchement de leurs femmes ! Voilà ce qui peut paraître insolite, voire risible, de nos jours, surtout dans nos sociétés. L’accouchement, l’allaitement et l’éducation des enfants est un job exclusivement féminin selon la vision commune. L’homme, avec sa masse musculaire, sa force, est fait surtout pour les travaux difficiles et les missions impossibles. Avec sa capacité d’endurance et sa force, l’homme peut-il supporter les douleurs de l’accouchement ? Peut-il se substituer à la femme et prendre à sa charge ce rôle combien difficile ? En tout cas, c’est ce que lui propose la dramaturge Naïma Zitan. Dans sa nouvelle pièce, Nazlou ‘ala slamtkoum (Vous pouvez disposer, ce n’était qu’un jeu), elle crée une situation hilarante où des hommes expérimentent pour la première fois les douleurs de l’enfantement.
Foutaise ! Scandale ! Sacrilège ! Comment a-t-elle osé ce détournement ? Naïma Zitan est connue pour ce genre de dérisions sociales. Elle n’est pas à sa première confrontation avec les mentalités patriarcales de notre société. On se souvient de sa pièce devenue, depuis, célèbre ; Dialy, le mien, ma propriété.
La pièce inspirée du Monologue du vagin de Ève Ensler (The Vagina Monologues), a nécessité un travail sociologique auprès des femmes marocaines afin qu’elles puissent et sans complexe parler de leur vagin. Le langage n’a été ni changé, ni traduit en arabe classique pour l’enjoliver ; la scène était sobre, des culottes de femme sont suspendues, en guirlande et trois filles s’évertuaient à raconter chacune les vies du sien devant un public de tout âge en délire. La pièce fut mise en place en 2012 juste après l’arrivée en grande fanfare des islamistes au pouvoir au Maroc et un peu partout dans le Monde arabe. Le sinistre concept de l’art propre, que des ténors du PJD venaient juste de mettre en circulation, s’appliqua sur cette production artistique. Dialy fut interdite dans les espaces culturels publics au Maroc et dut alors émigrer et s’exiler dans des espaces culturels étrangers, dont les Instituts français à Rabat et Casablanca. Les comédiennes et la metteuse en scène furent vilipendées par les milices électroniques du parti islamiste, ainsi que par d’autres intellectuels qui voulaient se rapprocher des islamistes à l’époque.
Aujourd’hui Naïma Zitan récidive dans « Vous pouvez disposer, ce n’était qu’un jeu ». Une scène sobre, le rideau se lève sur deux hommes et une femme. L’ambiance d’une clinique où il s’agit de deux individus qui attendent pour accoucher (Aissameddine Mohrim et Adil Abatorab), et une femme (Jamila Elhaouni) pour les aider à la délivrance. Pendant une heure, les spectateurs vivent dans la réalité inversée où les hommes réalisent la souffrance que subissent les femmes pour remplir un rôle biologique, pour donner la vie. Au bout de ce voyage où les hommes interrogent jusqu’à l’idée de la paternité, les comédiens hommes sont appelés à disposer et à sortir du jeu.
Tout l’intérêt est de soulever et pousser la question de l’égalité jusqu’au rôle le plus impossible à l’homme.