Le 30 mars 2012, le Traité de Fès, qui a scellé le destin colonial du Maroc, fête ses 100 ans. Peu glorieux, son souvenir est rarement évoqué par nos officiels
Le gouvernement de la République Française et Sa Majesté le Sultan sont d’accord pour instituer au Maroc un nouveau régime comportant les réformes administratives, judiciaires, scolaires, économiques, financières et militaires que le Gouvernement français jugera utile d’introduire sur le territoire marocain ». C’est en ces termes que, le 30 mars 1912, l’article premier du Traité de Fès instaure un protectorat français au Maroc. La signature de ce texte est la clôture de plusieurs années de tractations, de manipulations et de compétition entre presque toutes les puissances coloniales du début du XXe siècle. Pendant près d’un siècle, ne pouvant lutter contre les pressions imposées par les «nations civilisatrices», le Maroc a dû signer des conventions économiques, largement en sa défaveur.
Rares sont les pays à avoir autant attisé la convoitise du «monde moderne». De par sa position géographique, le royaume, jugé «anarchique » à la fin du XIXe siècle, a d’abord fait l’objet de nombreuses tentatives de rapprochement, en vue d’une domination par l’une des puissances occidentales. Ce sont finalement la France et l’Espagne qui raflent la mise, non sans avoir ravivé des tensions avec les rivaux anglais et surtout allemands. L’intervention française à Fès lors des émeutes qui menacent le sultan Moulay Hafid, en avril 1912, n’est en réalité qu’un alibi spectaculaire pour une installation administrative et militaire durable au Maroc. Le destin du pays est en fait scellé le 4 novembre 1911 par la signature d’une convention réglant le contentieux colonial entre Paris et Berlin, principal obstacle aux yeux de la France pour réaliser son projet de domination sur le Maghreb.
Quant à l’acte de reddition du 30 mars 1912, il est difficile d’en faire une analyse historique, tant le rapport de force dans les négociations est déséquilibré. Le jour de la signature du traité de protectorat par le sultan Moulay Hafid, près de 5000 soldats français campent sous les murs du palais de Fès, au cas où le sultan tarderait à se décider. Il mettra d’ailleurs une semaine avant de ratifier le traité, qui restera secret pendant encore quelque temps afin de ne pas attiser (encore plus) le déchaînement de certaines tribus prêtes au combat pour la sauvegarde de l’indépendance du Maroc. Moulay Hafid abdiquera en août 1912, laissant à son successeur, Moulay Youssef, un pays totalement sous l’emprise de la France et, dans la zone nord, de l’Espagne. Cette expérience coloniale singulière durera 44 ans, une des plus courtes de l’Histoire de l’impérialisme européen.
Par Sami Lakmahri