Un affrontement militaire entre l’Algérie et le Maroc a depuis toujours été considéré comme une perspective plus que possible, quasi-certaine. La presse nationale et internationale en faisaient état, avec une certitude annoncée. Selon les médias de tout horizon, il suffisait d’un fait intentionné pour que ça flambe de partout. Il faut dire que les conditions de cette flambée étaient on ne peut plus réunies.
Le Hirak algérien a repris de plus belle ; alors que son homologue tunisien reprend son élan. Au Maroc, le cap est le même; combattre toutes les diplomaties qui touchaient son intégrité territoriale, aussi longtemps qu’il fallait. Bref ; le Maghreb n’est pas loin d’une implosion explosive.
Nous sommes un 18 février 2021, dans la province de Figuig, dans le sud-est marocain, plus précisément dans la localité d’El Arja, sur la ligne de partage frontalier entre le Maroc et l’Algérie. Faisant fi d’une histoire toujours vivante, qu’Alger a constamment ignorée, il a été demandé aux populations locales d’évacuer les lieux, pour la raison toute simple qu’il s’agit d’un territoire algérien. Le commerce caravanier qui passait par là pendant des siècles n’a qu’a redessiner son parcours. Il est tout aussi difficile de revoir le tracé des frontières maroco-algériennes sur toutes leurs étendues géopolitiques. Et pourtant, ce travail titanesque forcément de longue haleine est nécessaire, bien qu’il soit difficilement faisable. La remontée au déluge est régulièrement représentée par les accords de Lalla Maghnia et la défaite du Maroc à la bataille d’Isly en 1844-1845, face à la France coloniale qui cherchait, par la même occasion, l’affaiblissement des troupes de l’émir Abdelkader. Lors de la «Guerre des Sables», en 1963, on parlait encore et toujours des cartes qui reprenaient les repères établies à leur aise par une coalition algéro-française du moment.
Bien que son nom ne l’indique pas, El Arja n’est pas ce coin perdu difficilement joignable. Il fait figure d’un vaste programme de développement des oasis des territoires marocains ; de préférence avec ses propres moyens, d’abord. El Arja est un modèle du genre. Ce sont quelques 15.000 palmiers et leurs fermiers ouvertement menacés. L’incidence socio-économique est d’autant plus grave qu’Alger a fixé un délai pour l’évacuation totale d’El Arja. Il est d’un mois, qui a pris fin le 18 mars 2021.
Ne serait-ce qu’au niveau social, les conséquences sont lourdes. Certains des fermiers qui ont investi dans ce secteur ont tout perdu. La quasi-totalité d’entre eux ont fait de ces métiers un mode de vie.
Depuis le déclenchement de ce conflit, qui a vite pris des dimensions nationales, une question intervenait constamment : comment les autorités publiques allaient-elles réagir à cette situation? La réponse ne faisait aucun doute : l’affaire de oued El Arja ne pouvait être qu’une tentative d’usurpation territoriale. Face à un questionnement qui semblait ne pas avoir lieu d’être, la surprise est de taille. Alger entend sortir de cette nouvelle impasse non pas par une démonstration de force, comme d’habitude, mais par la négociation. Alors qu’on suait en vain pour avoir un contact avec les centres de pouvoir de Tanger à Figuig, voilà que l’on répond au téléphone. Mieux, le problème de oued El Arja fait l’objet d’un communiqué à la fois pour une prise de position et des voies possibles de solutions.
Au gouvernorat de Figuig, il est officiellement reconnu l’existence d’un problème à oued El Arja, ainsi que ceux de la communauté soulaliya dite «Ouled Slimane». Dans cette belligérance à vue d’œil, une tendance ne saurait être oubliée : la spécificité de la population de Figuig. En plus des caractéristiques héritées de la position géographique et des contraintes de la vie quotidienne dans le désert, s’ajoute le fait que Figuig est une population de lettrés et de politiques à fleur de peau. Les Figuiguis ont largement contribué au mouvement national d’opposition féroce à l’implantation coloniale. Ils ont volontiers adhéré aux positions des partis politiques d’opposition, tel que l’UNFP de Mehdi Benbarka, Abderrahman Youssoufi, Abdallah Ibrahim, ou encore Mohamed El Yazghi, entre beaucoup d’autres ; de même qu’ils ont produit des philosophes de notoriété arabo-islamique comme Abed El Jabri. Autant d’éléments constitutifs de près ou de loin de l’entité figuiguie. Il faut aussi rappeler que le voisinage frontalier avec l’Algérie n’a pas toujours été de tout repos. Au premier contact, les Figuiguis remettent au goût du jour les conséquences territoriales et humaines de la Guerre des Sables de 1963. Ceci pour dire que l’idée combien positive, voire vitale, d’une frontière commune avec l’Algérie reste difficile.
Par Abdellatif Mansour