Sur les bancs de l’école nous avons appris le vers de Du Bellay : «France mère des arts, des armes et des lois, Tu m’as nourri du lait de tes mamelles».
Pour ma génération, on n’était plus à la maxime «nos ancêtres les Gaulois», mais la France était pour nous une patrie spirituelle. On s’attachait aux maîtres à penser des Lumières, et on considérait Sartre notre compatriote. On aimait, comme les étudiants de la Sorbonne, dire qu’on préférait avoir tort avec Sartre qu’avoir raison avec Aron. Et on était fiers de pouvoir accéder dans le texte, à cette révolution copernicienne synonyme de l’âge de raison de l’humanité, selon Auguste Comte, qui s’est profilée en France grâce à la philosophie des Lumières. Quel bonheur de lire les lettres persanes, l’ingénu, le neveu de Rameau, le contrat social… Et dans le texte, sans les méandres de la traduction, qui est une trahison.
Plus tard, on a osé jeter un regard serein sur la période coloniale. On n’était plus dans ce que les Américains appellent «Clear cut», mais une vision nuancée, ou plutôt objective. Quand la barbarie commençait à frapper, on n’a pas hésité, depuis Yves Gourdel, cet alpiniste tué en Kabylie en 2014, à condamner l’immonde, puis lors de la tuerie de Charlie et du Bataclan.
J’avais pensé pour ma part qu’on était, depuis, tous interpellés, pour forger un imaginaire commun, par une approche objective et rationnelle. Il fallait dire certaines vérités qui fâchent, et puisque les responsables français les ont reconnues, on les a dites, sur l’apartheid de fait, la ghettoïsation, l’islamophobie…
La France était-elle dans une vision positive pour écouter l’Autre ? Hélas, Non. Son regard condescendant le dément. Et cela bien avant la déclaration du Prédisent français sur «la crise de l’islam», «le séparatisme de l’islamisme radical».
J’avais participé en 2016 à un panel, à Paris, autour de ce qui était la déradicalisation. Une personne est appréhendée sur des supposées velléités à la radicalisation. Sur quelle base et quel fondement juridique ? Une couche de la société française devient suspecte jusqu’à preuve du contraire. La présomption de l’innocence est inversée, et n’en déplaise aux têtes pensantes de la France, l’islamophobie est une réalité, si ce n’est de manière crue, elle l’est de façon subtile (et désormais institutionnalisée ?). En quoi un fichu sur la tête menace-t-il les valeurs de République, ou le port d’une barbe rend-il suspect ?
Le radicalisme, quel qu’il soit, n’est pas l’affaire que de la France. Nous comprenons la meurtrissure de la France quand des citoyens sont abattus. Ce n’est pas par empathie que nous procédons, mais par respect pour l’être humain. Quel qu’il soit, pour son droit à la vie, droit inaliénable. Mais nous sommes aussi pour la dignité de ceux qui sont Français et de confession musulmane. Et pour le respect de ceux qui ne sont pas Français et musulmans.
Est-ce liberté ou dialogue à s’en prendre à des symboles sacrés ? Nous sommes prêts à lire objectivement notre imaginaire, mais dans les règles de l’art. Dans une pensée objective qui, comme disait Spinoza, ne gémit pas et ne rit pas. Nous sommes contre la haine, mais l’insulte et la diffamation sont une voie qui mène à la haine.
La France se veut universelle, mais peut-elle l’être en jetant aux orties les autres cultures ? La France a érigé la liberté et l’égalité comme le socle de son identité politique, mais y a rajouté, depuis la révolution de 1848, la fraternité. Est-ce fraternité de s’en prendre aux symboles d’une autre confession ou de réduire ses fidèles à la ghettoïsation ?
Nous ne demandons pas à la France à se renier, mais à lire attentivement le legs des Lumières, à être dans la nuance, car il n’y a pas de pensée sans nuance. Il n’y a pas de pensée, non plus, dans le dogmatisme, et l’entêtement est une voie au dogmatisme. La laïcité, telle que nous l’avons appris par la France elle-même, n’est pas rejet des religions, mais plutôt respect. La France peut-elle prétendre à l’universalité en honnissant les autres cultures ? Dans cet entêtement où elle refuse à se voir, elle risque de perdre ses amis. Mais elle gagnera à penser avec les Autres, dans le respect. Nous ne renoncerons pas, nous autres «indigènes enfants d’indigènes» à la pensée objective, dans le respect de l’Autre.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
La France est devenue l’ombre d’elle-même.
L’article énonce quelques faits et pose des questions sans vraiment y répondre…
Cordialement