M. Abdelkader Messahel, le chef de la diplomatie algérienne, a surpris l’opinion internationale par des propos peu diplomatiques contre l’Egypte, la Libye, la Tunisie et bien sûr le Maroc, sans oublier les chefs d’Etat africains, comme s’ils étaient ses pairs, qui lui auraient fait des confidences sur notre pays. Ne manquait que la France, mais sa langue en a pris à son compte. On est là à des années-lumière de ce qu’était la diplomatie algérienne, qui était une école, avec un certain paradigme, voire un messianisme, portée par des diplomates chevronnés, depuis Khmisti, puis par celui qui avait marqué la scène internationale, lors du lancement par feu Houari Boumediene du Nouvel ordre économique international en 1974, l’actuel président, Abdelaziz Bouteflika, qui a été un brillant président de l’Assemblée générale des Nations Unies. La liste serait longue de ces grands diplomates, d’Ahmed Benyahia qui forçait le respect, marchant avec une canne, suite à un accident d’avion, et qui a trouvé la mort, une deuxième fois, dans un autre accident d’avion, lorsqu’un missile l’avait ciblé alors qu’il œuvrait à la cessation de la guerre Iran-Irak. Puis le flegmatique Taleb Ibrahim, le regretté Bouallam Bessayeh, homme de lettres et de culture, Lakhdar Ibrahimi, l’homme aux missions difficiles. Ceux qui ont succédé à ces grands hommes qui avaient une stature internationale, œuvraient à s’inscrire dans la même lignée.
Au faîte de la guerre froide, la diplomatie algérienne et ses pontes forçaient le respect même de l’Amérique. C’était l’Algérie qui avait négocié la libération des otages américains à Téhéran. C’était la même Algérie qui avait parrainé les accords d’Alger entre l’Irak et le Shah, sur le différend frontalier du Chat Al Arab, et dont le non-respect avait plongé la région du Golfe dans une des guerres les plus meurtrières. Nous autres Marocains, malgré le différend qui nous oppose à la diplomatie algérienne sur la question du Sahara, on avait de l’admiration pour la diplomatie algérienne. Sur les bancs de la faculté des sciences politiques, dans les années 1980, on potassait le livre de Mohammed Bedjaoui, «Pour une nouvel ordre économique international ». Il allait présider la diplomatie algérienne. Difficile de voir dans les propos de M. Messahel le continuum de cette chaîne. C’est plutôt une rupture. Pourtant, ses propos concernant le Maroc ont l’avantage de la clarté. La position exprimée contre le Maroc n’est nullement mue pour une question de « principe » pour le « peuple sahraoui », «occupé et persécuté par le régime honni, suppôt de l’impérialisme», mais contre le Maroc tout court. Le « peuple sahraoui » n’est qu’un expédient. Le Maroc serait réduit à une grande zone franche. Mais n’est-ce pas là, à l’ère de la mondialisation, l’expression d’attraction et de performance, qui est loin d’être une tare ? Pour le reste, l’histoire, la culture et tout ce qui fait une nation, il serait malvenu d’en deviser avec M. Messahel.
Mais le plus important ce n’est pas tellement les propos de M. Messahel, car comme disait un grand diplomate, en l’occurrence Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant», mais la réaction de larges pans de la société civile algérienne, qui ont été prompts à fustiger ces déclarations intempestives et insensées. Le peuple algérien, et c’est ce qui compte, distingue le bon grain de l’ivraie. Il croit en l’idéal maghrébin. Il croit aux liens séculaires avec les Marocains et n’a pas manqué, par ses meilleurs fleurons, de tourner en ridicule celui qui préside sa diplomatie.
Qu’il me soit permis de paraphraser la lettre du président Bouteflika, fraîchement élu en avril 1999, à l’adresse de feu Hassan II, que je cite, de mémoire : « Sachez, Majesté, que le peuple algérien n’a que considération à l’endroit de votre Majesté », et de dire pareillement que « le peuple marocain n’a qu’affection pour le peuple algérien ».
Il est légitime, au nom de ces sentiments, d’espérer que la diplomatie algérienne retrouve son lustre. Les propos ignominieux tenus par celui qui préside aux destinées de la diplomatie algérienne ne font pas honneur à la mémoire d’un million et demi de martyrs, ni à une tradition diplomatique des plus brillantes. Dans cette phase de grandes mutations qu’opère le peuple frère, l’Algérie a besoin d’une diplomatie qui soit digne de son héritage, et d’une chef de la diplomatie à la mesure de cette tradition et des grands défis qui pointent, en interne comme en externe.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane