17 avril 2013
La faculté des sciences juridiques économiques et sociales de Rabat-Agdal et le GERM (Groupe d’Etudes et de Recherches Méditerranéennes) organisaient un colloque scientifique en hommage au professeur Aziz Hasbi, qui arrivait à l’âge de la retraite après plus de quarante-six ans d’un travail riche et varié. J’étais convié à cette rencontre en tant qu’ami de Si Aziz. Dans la prestigieuse salle des thèses, l’assistance de qualité se composait d’ambassadeurs, de grands commis de l’Etat, d’éminents professeurs-chercheurs, d’étudiants en droit public et relations internationales, ainsi que de deux économistes. J’étais le seul historien présent. Hormis Si Hasbi, qui connaît mes travaux universitaires et le professeur Abdellah Saaf, dont j’étais proche aux débuts de la revue Abhat, ancien camarade des « années OADP », la majorité de l’assemblée n’avait entendu parler de moi que comme le « Bouaziz de Zamane ». Cette nouvelle identité me réchauffait le cœur. L’aventure Zamane commence à faire de l’ombre à mes anciennes aventures. Le doyen de la faculté, dont la compagne est une historienne de talent et ses convives connaissent la revue et en ont une bonne image. Seul un grand commis de l’Etat me déclara, fronçant les sourcils, qu’il n’a jamais lu notre magazine d’Histoire du Maroc ! Il fera peut-être l’effort prochainement. Bref, la rencontre organisée avec maîtrise et minutie par une équipe de jeunes chercheurs et d’étudiants, orchestrée par le sage professeur Miloud Loukili, se déployait en trois temps. Deux tables rondes traitant du thème du colloque : «Les Nations Unies dans un monde en mutation» ; une séance d’hommage à Aziz Hasbi et, c’était inévitable, les développements récents sur la question du Sahara ont été soulevés par les intervenants au débat des deux tables rondes. La pluralité des approches et la rigueur de la déconstruction scientifique ont fissuré la façade du consensus national sur la question. Mais ce qui était important, à mon sens, est la déconstruction de l’a priori idéologique, révélée à la fois par la diversité de l’assistance et la liberté des propos d’hommage. La personnalité de Aziz Hasbi, sa modestie qui force le respect, sa production scientifique prolifique, la qualité de son travail diplomatique, le dévouement dans son métier d’enseignant et ses hautes qualités humaines ont pulvérisé les représentations idéologiques, les miennes à tout le moins, pour laisser place à ce qui relève de l’humain, donc du ressenti. A travers ces propos libres, apparaît un Aziz Hasbi à qui la nation doit être reconnaissante. J’ai exprimé ma fierté d’être l’ami de ce fils du peuple.
22 avril 2013
Le CERM (Centre d’Etudes et de Recherches Mohammed Bensaïd) organisait à Casablanca une soirée autour du philosophe et critique d’art Moulim El Aroussi, à l’occasion de la publication de son dernier roman Les anges du mirage. Deux grands noms de la littérature et de la culture contemporaine marocaine, Ahmed Bouzfour et Hassan Aourid, étaient invités à faire une lecture de cette belle œuvre… Quant à moi, j’avais la tâche difficile de modérer le débat devant un public de créateurs, de littérateurs, d’étudiants, de chercheurs en sciences sociales et surtout de militants et sympathisants de gauche à la recherche de nouveaux référentiels. Moulim El Aroussi et son épouse, l’artiste Kenza Benjelloun, sont mes amis intimes. Avant le mois d’avril de l’an 2000, je ne les connaissais pas. Nos échanges humains, intellectuels, culturels et artistiques, sont tellement denses, qu’il me semble que nos chromosomes ont traversé, en commun, le temps historique de l’Antiquité au troisième millénaire ! Moulim est un univers complexe. Une forêt foisonnante et luxuriante où Kenza libère des oiseaux et des rossignols. Ahmed Bouzfour nous a promené, avec délice, dans les méandres de ce roman (Les anges du mirage). Sa lecture, à mille facettes, tout en faisant l’analyse critique de l’œuvre littéraire, nous fait partager les techniques de narration, les emprunts historiques et les passages du réalisme au fantastique, du pensé à l’intériorisé, du réel au symbolique. Les personnages, les lieux et les atmosphères sont bien de chez nous, de Jamaâ El fna, la place du conte et de l’évasion, aux palais sultaniens, lieux de pouvoir et d’intrigues. De cette promenade dans les espaces entremêlés du roman, Bouzfour nous extrait le fond problématique que Moulim El Aroussi nous invite à décortiquer : pourquoi tardons-nous à mettre au monde une modernité marocaine dont nous sommes pourtant gros ? C’est sur la pertinence de cette problématique que Hassan Aourid dévoile sa lecture sur ce travail pionnier et créateur. Il souligne que le laboratoire de Moulim c’est l’Histoire, celle de l’Occident musulman en particulier. Les mémoires arabes, andalouses et juives s’entrelacent, se heurtent et se fécondent à travers les pensées d’Averroès, de Maïmonide d’Ibn Toumert qui structurent le champ symbolique et l’imaginaire collectif. Le mouvement qui anime le roman, relève Hassan Aourid, fait de nomadisme et d’errance, traduit par les mots, les maux d’un accouchement difficile : celui de la traversée vers notre modernité future. La salle et les couloirs du CERM n’ont pu contenir ni la foule dense qui est venue assister à cette singulière messe, ni l’élan fougueux de toutes ou tous ceux qui ont voulu célébrer la naissance d’une promesse, d’une remise en cause fertile.
Entre Aziz et Moulim, il y a le Sahara : l’un en a fait un objet d’étude, l’autre en est originaire. Les deux tiennent de l’humain ce qui en est essentiel : la générosité et la création. Je suis heureux de les avoir comme amis, et plus encore en les rapprochant de mon père spirituel Si Mohammed Bensaïd Aït Idder.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane