C‘est désormais connu et intégré, le printemps arabe a débouché sur des pouvoirs islamistes. Un dénouement que les observateurs les plus regardants n’ont apparemment pas vu venir. En Tunisie, en Lybie, en Egypte, en attendant le Yémen et la Syrie, l’irruption des islamistes au devant de la scène politique n’était certainement pas prévue au programme.
Une déferlante islamiste semble avoir frappé un monde arabe en ébullition. Bien qu’il s’y soit pris à sa manière, dans « le calme et la sérénité », le Maroc n’y a pas échappé.
Les élections législatives du 25 novembre 2011 ont révélé une majorité incontestable du Parti de la justice et du développement (PJD). Ce résultat sorti des urnes est unique dans l’histoire du Maroc indépendant. Les parties prenantes de l’opposition ont estimé que ce scrutin était transparent et régulier. Cela aussi est une première. Nous voilà donc face à une gouvernance islamiste partisane et ouvertement avouée. L’islamisme politique est non seulement institutionnalisé, mais il est associé aux commandes de l’Exécutif par la volonté populaire et royal.
Il serait un peu trop léger de considérer cette victoire islamiste par les urnes comme un phénomène strictement électoral, comme le produit d’une conjoncture favorable dans le temps et dans l’espace. Cela relèverait d’un double tropisme historique et politique de circonstance. En fait, et dans ce cas d’espèce, le factuel rejoint le fondamental, à savoir une tendance lourde et constitutive de notre identité sociale et nationale.
Depuis l’arrivée de l’islam sur nos rivages et par nos routes caravanières, aucun doute ne s’est insinué dans les plis séculaires de notre islamité ; ni par notre rapport à l’Orient producteur de tous les monothéismes, ni par rapport à notre propre événementiel cumulatif et foncièrement religieux. L’Etat marocain, en tant que pouvoir central, a toujours été foncièrement islamiste. Un fondamentalisme d’Etat jamais démenti par la force même d’une commanderie des croyants proprement marocaine. Au plus fort de la puissance ottomane, qui a déferlé sur la totalité du monde arabe, la prière du vendredi n’a jamais été prononcée qu’au nom des sultans du Maroc, alors que par ailleurs dans tous les pays arabes, c’était le calife de « La porte sublime » d’Istanbul qui présidait les prêches hebdomadaires.
Cela aussi est une particularité marocaine rarement relevée. Mais elle n’explique pas, pour autant, l’émergence actuelle d’un courant islamiste qui pourrait avoir la prétention de régenter la vie et le comportement citoyen de tous les jours.
Tout se passe comme si l’être et le paraître du musulman ordinaire n’étaient pas suffisants. Il est devenu nécessaire de faire preuve d’une militance islamiste à toute épreuve. Une question persiste. D’ou nous vient cette tendance à l’instrumentalisation de l’islam pour des objectifs ouvertement politiques (lire « La grande énigme » de notre collaborateur Abdellah Tourabi, p.28). Pour peu que les seniors de la politique aient de la mémoire, ils se rappelleront que l’islamisme politique est une invention de l’Etat. Il a été suscité et encouragé pour contrecarrer toutes les écoles de pensée rationaliste, qu’elles soient cartésiennes ou marxistes. On a ainsi vu les outils sécuritaires de l’Etat entretenir des groupuscules islamistes virulents et agissant à ciel ouvert.
Aujourd’hui, la tendance islamiste s’est soigneusement abritée sous le toit de la démocratie. Nous sommes face à un islamisme politiquement correct. Il est, désormais, associé au pouvoir. Par delà sa capacité à gérer des secteurs technocratiques, il sera jugé sur sa prétention de gérance des libertés individuelles et collectives. La liberté de conscience et de libre disposition de soi.
Youssef Chmirou, directeur de la publication