Au-delà de son caractère particulier, à savoir la production du beau, l’art est aussi, comme on dit, «une chose comme toutes les autres choses». Un tableau, avant d’être une œuvre d’art, n’est-il pas d’abord de la toile, du bois et de la peinture ? N’est-il pas tout simplement une composition de matières végétales, minérales et chimiques, imbriquées les unes dans les autres par la dextérité d’un ouvrier appelé ici artiste ? À l’extérieur de la galerie, dans une décharge, publique, rejetées par la mer sur une plage… Ces matières ne sont que détritus, comme tout autre chose exclue de la vie.
Mais même étant œuvre d’art, voulue et reconnue comme telle, les tableaux sont bien embarqués, empaquetés, emballés et envoyés dans des marchés de l’art comme on envoie de vulgaires écrous, des robinets, des tomates ou d’autres productions humaines utilitaires. On peut bien se tromper et livrer une cargaison de pommes de terre à la place d’un chargement de tableaux. On parle de foire comme celle de l’art, aujourd’hui on dit plutôt salon, comme celui de l’agriculture. La FIAC est bien la célèbre et prestigieuse Foire Internationale de l’Art Contemporain de Paris. Aujourd’hui, on ne compte plus les manifestations de ce type. Elles sont aussi nombreuses que les foires de l’automobile, du textile, de l’aéronautique, de l’agro-alimentaire et tout produit de consommation de masse… Elles produisent une part importante du capitalisme mondial. Elles génèrent une importante cagnotte d’argent. Les artistes sont soumis à la même loi du marché où on les soigne et les surveille avant de les abandonner comme on le fait avec les sportifs, les top-models et les acteurs, dès que la fraîcheur de leur corps, de leurs esprits ou de leurs mains commence à leur faire défaut. On vend plus les artistes que les œuvres d’art. On fabrique d’abord la marque avant de lancer le produit sur le marché.
De ce point de vue et, étant donné l’état actuel des choses, comment réfléchir sur l’art ? N’est-il pas mieux que ce soit une affaire des sciences économiques, de la finance et du marketing ?
Depuis le début, je parle de tableaux, or il s’agit dans le cas de l’art actuel de productions nouvelles qui échappent souvent ou contredisent les cadres académiques de l’art. Depuis la fin du XXème siècle, l’art est rentré dans une autre phase de son histoire. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’art contemporain ne se limite plus ni aux techniques, ni aux matériaux ni mêmes aux conceptions qu’a connus l’art depuis qu’il s’appelle art.
L’art contemporain a désorienté l’art académique en simplifiant les moyens, les matières et les matériaux. Mais depuis le début du XXème siècle, Marcel Duchamp avait déjà prononcé sa phrase prophétique : « Tout est art ». Ce qui fera croire à certains marchands d’art, surtout chez nous, que la voie était ouverte à du n’importe quoi. On oublie qu’on est surtout marchand et on voudra se mêler même d’écrire l’histoire de l’art. Voilà une manière de tuer l’art en en faisant strictement une affaire financière.
Par Moulim El Aroussi