Lyautey a laissé sur le Maroc contemporain une empreinte indélébile. Son héritage le plus durable réside sans aucun doute dans le mélange de jeunesse et de modernité dont il a paré la dynastie alaouite.
Voilà un personnage presque mythique, à la fois adulé de son vivant, et mis de côté par les politiciens de son temps. Encore aujourd’hui, des deux côtés de la Méditerranée, la mémoire de Lyautey est facilement convoquée, le plus souvent à des fins élogieuses, voire élégiaques. Le premier Résident général de France au Maroc est l’un des rares Occidentaux à avoir su percer l’âme marocaine. À l’inverse d’un Gallieni mettant au pas la monarchie malgache et instaurant une administration brutale, le futur Résident général au Maroc préfèrera s’appuyer sur les élites locales (la fameuse politique des grands caïds) et sur une monarchie qu’il s’attachera à relégitimer. «Je suis un féodal, et quiconque ne sait pas cela ne peut rien comprendre à mon action», avait-il coutume d’expliquer à ses collaborateurs. La féodalité selon Lyautey, c’est avant tout un goût prononcé pour les traditions ancestrales, c’est aussi la passion des valeurs aristocratiques. En ce sens, il trouve au Maroc un terrain propice à la mise en œuvre de son grand dessein. Retraité, il expliquera ainsi les raisons du succès qu’on lui a attribué au royaume chérifien : «J’ai réussi au Maroc parce que je suis monarchiste et que je m’y suis trouvé en pays monarchique. Il y avait le Sultan, dont je n’ai jamais cessé de respecter et de soutenir l’autorité. J’étais religieux, et le Maroc est un pays religieux. Je suis pour l’aristocratie, pour le gouvernement des meilleurs. J’ai vu qu’il y avait des écoles où allaient les enfants de telles classes, d’autres écoles où allaient les enfants d’autres milieux et qui ne se mélangeaient pas. J’ai respecté tout cela, à la fois parce que cette soumission au fait fortifiait ma propre politique et parce que mes propres convictions m’en montraient la légitimité et la noblesse».
Sa conception de «l’âme marocaine»…
Pendant treize ans (malgré un court intermède raté en tant que ministre de la Guerre), il préside au destin marocain, menant de front une violente «pacification» qui ne dit pas son nom et une vaste entreprise de reconstruction des structures sociales et étatiques. «L’objectif est de réaliser la pacification matérielle et morale, en habituant les indigènes à notre contact, en leur faisant apprécier le bénéfice (achat de denrées, protection, arbitrage, assistance médicale) ; aucune vexation, aucun abus d’autorité, aucune rapine, aucune violence ne seront tolérés», explique-t-il aux officiers français.
Par Younes Messoudi
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