Le 16 aout 1972, un complot vise à abattre l’avion royal dans le ciel marocain. Tandis que les assaillants rescapés sont arrêtés, le lieutenant-colonel Amekrane, accompagné de quatre militaires, atterrit à Gibraltar. Récit d’un épisode mystérieux et rocambolesque…
Vers 17h05 de ce 16 aout 1972, le commandant Kabbaj a réussi à poser sans encombre l’avion du roi après une attaque aérienne hollywoodienne. Bien que certains chasseurs insistent pour mitrailler l’aéroport de Rabat-Salé et la Palais royal, il paraît désormais évident que le coup de force échoue. Le lieutenant-colonel Amekrane, l’un des fers de lance de la tentative de coup d’Etat, ordonne le décollage de son hélicoptère depuis la base de Kénitra. Il décide de ne pas obéir à l’ordre du Général Oufkir qui l’exhorte à se poser sur le tarmac de l’aéroport de Salé. Il est en effet bien conscient qu’il demeure l’un des rares témoins capables de révéler l’implication du numéro deux du régime marocain. Nul doute que ce dernier n’hésiterait pas à l’éliminer physiquement. C’est donc cerné de toute part que le lieutenant-colonel sillonne les airs de la côte atlantique. Limités par la faible autonomie en carburant de leur appareil, les militaires n’ont que peu de destinations possibles. Au bout de seulement quelques minutes de vol, Amekrane arrête son choix. L’hélicoptère se dirige plein gaz sur le rocher de Gibraltar. A 18 heures 34 minutes, comme consigné dans le rapport des autorités du rocher britannique, l’appareil des fugitifs atterris sur le « Roc ». Amekrane et son équipage sont d’abord reçus par un officier britannique de service. La situation est confuse. Comment accueillir ces Marocains dont la situation est d’une infinie complexité ? Ni migrant, ni invité, cet équipage maudit semble annonciateur d’un orage peu ordinaire dans le ciel du paisible rocher. A Rabat, Hassan II et son entourage ne peuvent tolérer que ces fuyards leur échappent. Sans l’arrestation de Mohamed Amekrane, ils considèrent que la tentative de coup d’Etat n’est pas définitivement close.
De son côté, Rosemarie Höll, devenue Malika Amekrane après avoir épousé l’officier marocain, fuit le Maroc avec ses deux enfants et tente de persuader les britanniques de ne pas livrer son mari. Le réseau des putschistes essaie de réagir également. Mohamed Aït Kaddour, chargé à l’époque d’incarner la liaison entre Fqih Basri (à Paris) et les militaires auteurs de la tentative de coup d’Etat, nous confesse ainsi le plan envisagé : « Nous nous sommes dit que Abderrahmane Youssoufi devait se rendre à Gibraltar. S’il y a eu contact avec l’ambassade anglaise, c’est Youssoufi qui devait s’en occuper. Il est polyglotte, connait parfaitement le droit et entretient un vaste réseau. Le but de cette rencontre aurait été d’aider Amekrane à se défendre, qu’il explique les raisons de son action. Et qu’ensuite, il puisse être protégé dans le sens juridique du terme. Mais Youssoufi a refusé. Il a senti que cette opération ne marcherait pas ». En effet, le régime marocain est le plus prompt à réagir. Il obtient finalement l’accord de Londres, qui autorise Hassan II à envoyer un avion pour le « rapatriement » de l’équipage de l’hélicoptère. Un départ qui ne devient évident qu’aux derniers instants, comme l’explique le document juridique : « Vers le soir, des militaires britanniques armés se présentèrent et leur annoncèrent qu’ils allaient être transférés dans une autre caserne, parce que des reporters s’étaient attroupés et avaient déjà pris des photos. Ces déclarations pouvaient paraitre plausibles, les deux officiers n’eurent pas de raisons de s’inquiéter. Amekrane et l’autre officier furent conduits vers une automobile et après qu’ils y furent montés, on leur mit les menottes. Contrairement à ce qui leur avait été annoncé, ils ne furent pas transférés dans une autre caserne, mais conduits à l’aéroport. Là, ils furent remis à des fonctionnaires marocains et emmenés par eux à Rabat, dans un avion de transport de l’armée de l’air marocaine ». Au Maroc, Amekrane est jugé coupable par le Tribunal Militaire et condamné à mort. Dans une tentative de contester l’extradition « illégale » de son époux, Malika Amekrane saisit donc l’instance européenne compétente et présente une requête à l’encontre du gouvernement britannique. Dans un ouvrage retraçant les précédents judiciaires de la Cour Européennes des Droits de l’Homme, l’auteur Marc Bossuyt affirme que « les requérants avaient retiré leur requête en acceptant le paiement ex gratia de 37 000 livres sterling par le Gouvernement Britannique qui fit acter que ce règlement aurait violé les droits d’un des requérants, y compris ceux du lieutenant-colonel Amekrane ». Interrogée à ce sujet, Rosemarie Holl, aujourd’hui retraitée allemande de 77 ans, ne souhaite pas réagir : « Je suis fatiguée et ne souhaite pas raviver les blessures du passé ».