Il y a quelques jours, un tribunal à Casablanca a décidé la dissolution de l’association Racines. La décision a été confirmée en appel. Donc il n’y a plus rien à faire…
Mais pas si vite, si vous permettez !
Depuis sa création en 2010, cette association a accompli un travail de fond tout à fait remarquable. Elle a organisé des assises dédiées à la culture, animé des ateliers de formation aux métiers de la culture et à ce qu’on pourrait appeler « les devoirs et les droits des citoyens », lancé des projets pluridisciplinaires, sillonnant au passage tous les points cardinaux du royaume.
Au point que Racines, pour résumer, a fini par symboliser, en près de dix ans d’existence, ce très beau triptyque : culture – citoyenneté – liberté d’expression.
Les fondateurs et les animateurs de cette belle ONG marocaine méritent une médaille. Au lieu de cela, ils ont été invités à passer la clé sous la porte. Voilà ce qu’il faut retenir et on peut évidemment y voir un symbole de ce « monde à l’envers » dans lequel nous vivons.
Beaucoup a été dit et écrit sur les raisons qui ont amené à la dissolution de l’association. En résumé, on lui reproche d’avoir accueilli le tournage de l’émission culte « 1 diner 2 cons », qui s’était distinguée par des sortes de talk-shows débridés, francs du collier et souvent irrévérencieux.
Le motif importe peu, en fin de compte. Parce que l’association a eu beau multiplier les pétitions, les témoignages et les expertises, rien n’y a fait. La justice a décidé sa dissolution en première instance, ensuite en appel.
Cette mise à mort quasi programmée à l’avance porte en elle tous les symptômes du Maroc qui boîte. On y va, on n’y va pas ? On ouvre, on ferme ? Libres, pas libres ? On avance, on recule ?
La modernité et la démocratie, ou leurs manques, ont fait du Maroc un pays « entre deux ». Les avancées en matière de liberté sont réelles. Elles ont été acquises dans la douleur. Mais chaque avancée est « sertie » d’un frein. Quand le frein s’active, tout s’arrête.
C’est triste. C’est injuste. C’est surtout cruel parce que, jusqu’au dénouement fatal, l’espoir était réel. Que voulez-vous, nous sommes un peuple nourri d’espoir et à l’espoir. Nous nous efforçons toujours d’y croire. Même si, la nuit venue, on ne dort jamais que d’un œil…
Faut-il en donc rester là, « acter » cette fin aussi triste qu’injuste, plier bagages, au revoir et merci ? Non.
Ce qu’il reste à faire s’appelle : revenir, recommencer, réessayer, encore et encore. Sans garantie. Sans recours véritable (quand le fameux « frein » en vient de nouveau à s’activer). Cette option demande beaucoup de courage et de (bonne) foi. Ceux qui la choisissent sont des champions d’espoir et de persévérance. Ils accomplissent un travail de sape, qui est ingrat mais qui peut toujours servir.
Cela s’appelle faire de la résistance. Et il est nécessaire de faire de la résistance. C’est un travail récurrent, qui ne finit jamais, comme un éternel recommencement. Dans un pays comme le Maroc, ce n’est pas un luxe mais un devoir.
L’autre option, grande et large comme un boulevard, est de renoncer et de jeter l’éponge. Ceux qui l’empruntent finissent par se laisser convaincre que c’est la voie la plus « raisonnable ». Ils ont essayé et ils n’ont pas été récompensés, alors ils sont partis. Personne ne les blâmera mais…
L’histoire du Maroc regorge de mauvais exemples. Que d’initiatives citoyennes, associatives, intellectuelles, voire médiatiques, ont bourgeonné et lutté avant d’être réduites au silence. Mais ne dit-on pas que celui à qui on prend tout redevient plus libre comme jamais ?
Karim Boukhari, Directeur de la rédaction