À chaque événement portant sur l’intégrité physique de la personne, un sujet du même centre d’intérêts refait surface. Cette fois-ci, c’est l’abominable assassinat de deux jeunes femmes touristes danoise et norvégienne, à Imlil, dans la vastitude du Haouz, la nuit du 16 au 17 décembre 2018. Le crime est tellement horrible que la peine à infliger à ses auteurs devenait dominante dans toutes les réactions émotionnelles et les discussions de société sur un ton grave. «Les criminels, venus d’un autre âge de l’histoire de l’humanité, ne pouvaient mériter un autre châtiment que la peine de mort et l’exécution dans les plus brefs délais judiciaires». Une unanimité quasi-instinctive.
Le débat est lancé. Faut-il maintenir la peine capitale ou l’abolir, aussi insupportable que soit le délit commis. Deux camps se sont formés au pas de charge. Ils sont facilement identifiables. Reste à savoir s’ils se constituent dos à dos, sans possibilité de communication, ou dans un positionnement qui tolère l’autre et son avis totalement opposé. Pour le moment et à partir du dernier fait déclencheur, nous sommes dans une sorte de guerre de tranchées où chacun des protagonistes montés volontiers au front y va de son argumentaire puisé dans ses intimes convictions.
Un bref état des lieux, chiffres à l’appui, dans une évolution historiquement proche, dont le principal souci est de donner corps à ce propos. Comme d’habitude, la réalité précède la législation qui vient entériner l’existant. Une vérité première, la peine de mort a toujours existé au Maroc. Le code pénal n’a fait que lui donner un habillage législatif à travers une typologie de délit pouvant enclencher une procédure judiciaire à même d’aboutir à une sanction suprême, ôter la vie au prévenu. Entre 1956 et 1993, 198 personnes comparus devant les juges ont été condamnés à mort et exécutés. Une estimation confirmée par L’Instance équité et réconciliation, avec cette précision que la quasi-totalité des suppliciés passés par les armes l’ont été sous le règne de Hassan II. Depuis 1993 et la fameuse affaire du commissaire Tabit, il n’y a pas eu d’exécution. Valeur aujourd’hui, 115 condamnés à la peine capitale dont 3 femmes, croupissent dans les couloirs de la mort. Un ancien détenu pour atteinte à la sécurité de l’État décrit ainsi les dix années passées dans ce couloir : «À chaque craquement de la porte, chaque fois que j’entendais les pas d’un gardien, je me disais que mon tour est arrivé». Au bout du tunnel, la condamnation de ce détenu a été commuée en perpétuité, puis en grâce royale, dix ans après.
Dans les milieux abolitionnistes, en plus d’Amnesty international, la principale entité civile c’est la Coalition nationale pour l’abolition de la peine de mort (CNAPM) qui représente pas moins de 17 associations agissant pour le même objectif. Un élément relativement récent rend cette militance beaucoup moins efficiente, voire carrément inappropriée. Il s’agit de la menace terroriste qui plane sans répit. À chaque pas en faveur de cette cause humanitaire, survient un attentat terroriste et le retour à la case départ. À plus d’une reprise, un projet de loi pour l’abolition de la peine de mort devait être présentée au parlement. Un passage obligé qui aurait permis l’exposé de différentes lectures d’une question aussi primordiale que le rapport à la vie et à la mort. Comme pour réajuster le rapport de force des deux côtés de la barrière pour ou contre l’abolition, la constitution de 2011 a proclamé, dans son article 20, que «le droit à la vie est le premier de tout être humain. La loi protège ce droit». En clair, le droit à la vie contre le droit de l’ôter au nom de la raison d’État, sous couvert de défense des assises fondamentales de la vie en société. L’argument massue de la religion et de la vielle loi du talion est souvent appelée à la rescousse. Ce qui constitue une négation pure et simple de l’évolution de l’humain et de sa capacité à se remettre en cause. Dans cet affrontement à dimensions multiples, toutes les représentations philosophiques sous l’autorité de l’état de droit, passe en revue. Qui est responsable de quoi ? Peut-on s’autoriser à ôter la vie à l’autre, au nom d’une conviction différente? La position marocaine par rapport à ses principes à vocation universelle, est-elle défendable ?
C’est précisément dans cet état d’esprit que devrait s’installer un débat national, ouvert à une réflexion plurielle. Plus que de faire le décompte des pour et des contre, où le compte n’est jamais bon, on aurait gagné à nous connaître un peu mieux à travers la question existentielle du droit à la vie.
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION