La plus grande communauté étrangère vivant au Maroc est française. La deuxième communauté étrangère vivant en France de pleins droits, accordés par une naturalisation acquise, est marocaine. Ces deux communautés représentent une réalité historique franco-marocaine particulière. Elles sont influentes à plus d’un titre. Elles sont sous observation rapprochée dès que l’ancienne métropole connaît une passe politique difficile, un enjeu électoral déterminant.
C’est précisément le cas, aujourd’hui, avec les présidentielles, dans leurs deux tours à élimination directe, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un seul pour hériter de l’Elysée et de bien autres choses. Dans ce genre de moment décisif, nous sommes, côté marocain, aux premières loges, à la fois intéressés et concernés, presque une partie prenante directe ou indirecte. Les Français du Maroc et les Marocains de France ont un positionnement forcément double, autant par rapport à leur attache originelle qu’à leur terre d’accueil. Une double référence que l’électeur délocalisé, dans les deux sens, doit conjuguer dans son acte de vote.
Ceci pour une élection présidentielle où les lignes de démarcation, franches et bien tracées entre deux courants antagonistes, sont confortées par les sondages sur les intentions de vote, comme par le passé. Cette fois-ci, les partis historiques de droite comme de gauche ont été éliminés dès le premier round probatoire. Une première depuis la Seconde guerre mondiale. Ne sont restés en scène que l’extrême-droite, représentée par Marine Le Pen, la fille de son père-fondateur, au nom du Front national. Et un invité surprise, Emmanuel Macron, produit d’une ambiguïté centriste, plus enclin à basculer du côté d’un réalisme financier que d’une improbable fibre sociale. Les partis traditionnels, de gauche comme de droite, ont ainsi été acculés à choisir entre deux camps dont aucun n’est le leur. Revenons à notre premier viseur d’observation. Selon les chiffres fournis par l’ambassade de France à Rabat, dans une assiette de participation des électeurs français du Maroc, au premier tour, à peine 53% de participants, Emmanuel Macron est arrivé en tête avec 31,6%, tandis que Marine Le Pen n’a récolté que 4,1%. Aussi faible soit-il, ce score renvoie à un paradoxe du genre surréaliste. Voilà des gens qui vivent parmi nous, en toute quiétude, et qui demandent à ce que les nôtres, vivant en France, soient rejetés. On pourrait bien admettre que la vérité c’est ce que l’imbécile appelle paradoxe, mais pas à ce point. Où le Maroc s’est-il situé dans ce duel Macron-Le Pen? La réaction communément admise dans les coulisses de la diplomatie marocaine semble relever d’un confort sur l’acquis cumulé plus que d’un activisme diplomatique à même d’agir sur une situation inédite. Quelle que soit l’identité politique du président français nouvellement élu et de sa représentation gouvernementale, dit-on, le Maroc n’aura pas de problèmes majeurs à faire avec. Une vision simpliste dans un monde en mouvement qui exige un travail permanent et proactif. Il est vrai que la France est notre premier partenaire économique, continuellement talonnée par l’Espagne. Le côté historique, culturel et humain s’en mêle dans notre rapport à ces deux pays qui sont notre porte d’entrée à l’Europe. Emmanuel Macron s’inscrit dans cette donnée qu’il voudrait bien perpétuer et lui donner une dimension maghrébine. Par contre, avec Marine Le Pen au pouvoir, nos immigrés auraient eu, en plus des coercitions administratives en tout genre, des difficultés dans leur vivre-ensemble, au quotidien. De plus, Marine Le Pen s’était engagée à prendre des mesures draconiennes pour empêcher les grandes entreprises françaises de se délocaliser ; comme c’est le cas pour l’usine Renault de Tanger et sa capacité exportatrice vers l’Afrique. En définitive, au mondialisme apparemment de bon aloi d’Emmanuel Macron, correspond le nationalisme étroit, sinon carrément xénophobe, de Marine Le Pen. Le mercredi 3 mai, dans la soirée, les deux candidats du 2ème tour ont eu une confrontation télévisée, suivie par 16,5 millions de français. Au terme d’un débat souvent violent, Emmanuel Macron en est sorti gagnant, selon les sondages réalisés à chaud. Il était déjà le futur président de la république française. C’est donc avec lui que le Maroc aura à faire.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION