Les élections, ça nous connaît. Nous nous y essayons depuis une cinquantaine d’années, avec des hauts et des bas, mais surtout des bas. Quand on revisite ce parcours électoral, c’est pratiquement toute l’histoire politique du Maroc indépendant que l’on remonte. Un bref récapitulatif pour situer ce décorum qui devait nous initier à la démocratie, voire nous y installer, au moins partiellement.
De 1963 à 2007, nous avons connu huit scrutins. Durant toute cette longue marche électorale, de près d’un demi-siècle, deux mots sont régulièrement revenus à la surface : « transparence » et « régularité ». Une récurrence inlassable et lassante. On n’a guère connu ni l’une, ni l’autre. Au contraire, la « transparence » et la « régularité » n’ont même pas été des professions de foi sous couvert de promesse sincère, mais des jeux viciés dès le départ, un peu comme les dés pipés. Ce qui a engendré au sein de l’opinion publique et chez les électeurs potentiels une déception renouvelée, une désaffection vis-à-vis de la chose politique et, à la clé, des taux de participation qui frisent le ridicule, le dernier en date étant (officiellement) de 37%, en 2007.
Les rendez-vous ratés avec l’Histoire depuis l’Indépendance sont multiples. Le premier du genre est celui de 1963. Ces toutes premières élections législatives avaient valeur de test, sous la forme de « quel Maroc post-colonial voulons-nous ? ». Les deux principaux partis issus du Mouvement national, l’Istiqlal et l’UNFP, bénéficiaient encore d’une immense popularité. Pour les contenir dans les proportions souhaitées par le palais royal, on s’est empressé de leur créer un rival fabriqué de toute pièce, le FDIC, dirigé par Ahmed Réda Guédira, un ami du roi Hassan II. Comme par enchantement, le FDIC a raflé la mise. La même technique se renouvellera avec le RNI de Ahmed Osman, pour les élections de 1977, et l’UC de Maâti Bouabid, en 1984. C’était le temps des ingénieurs des élections qui sévissaient, sous la houlette d’un certain Driss Basri, dans les alcôves du ministère de l’Intérieur, où se mijotait la carte politique du Maroc, avec des partis éprouvettes, conçus in vitro. C’était le temps du kidnapping des urnes pour un besoin pressant de bourrage. C’était le temps des menaces directes à l’encontre des représentants des candidats dans les bureaux de vote. Le temps aussi du ridicule qui ne tuait pas et qui continue, d’ailleurs, à ne pas tuer, sous l’imposture grossière d’une élection populaire « transparente » et « régulière ». Ces temps-la sont-ils révolus ou bien ont-ils été juste relookés, revus et corrigés pour se donner une apparence de conformité avec les impératifs et les contraintes d’une évolution implacable ?
C’est une question qui, elle-même, invite à une brève rétrospective. Depuis les préparatifs de l’alternance politique au pouvoir exécutif, au milieu des années 1990, les messagers attitrés se sont essoufflés à répéter que ce ne serait plus jamais comme avant. Nous aurions nos élections « libres », « transparentes » et « régulières ». Pour rendre le message plus crédible, on a fait en sorte que le dosage soit plus fin et mieux travaillé. L’ancienne opposition, l’USFP et, accessoirement, l’Istiqlal, ont occupé les premières loges aux élections de 1997, 2002 et 2007, avec une percée et une progression spectaculaires des islamistes du PJD. Fallait t-il pour autant crier à l’avènement, enfin, de la vérité des urnes ? Armées de leur gros appétit de pouvoir, les Istiqlaliens et, surtout, les socialistes ont fait semblant d’y croire. Le PJD, lui, attend impatiemment son tour. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes électoraux possibles. A ceci près qu’il y a eu un hic. Les électeurs n’ont pas marché. Ils n’ont pas fait les moutons de Panurge, n’en déplaise à tous les messieurs Panurge qui peuplent l’élite politique, sans lien avec le terrain électoral. De 1997 à 2007, le taux d’abstention est allé crescendo, soit, respectivement et toujours officiellement, 42 % et 63 %, avec une étape intermédiaire de 48%. A l’échéance du 25 novembre 2011, les électeurs s’exprimeront-ils par leurs bulletins de vote ou par leurs pieds, en allant à la pêche, comme pour les épisodes précédents ? Le doute est permis. Surtout qu’entre-temps le PAM est passé par-là.
Il a été suffisamment dit que le PAM fait penser, immanquablement, aux circonstances et aux objectifs qui ont présidé à la naissance du FDIC, du RNI et de l’UC. L’alliance avec le RNI et l’UC, c’est juste le naturel qui revient au galop. L’incorporation du Parti travailliste et autres, c’est plutôt du virtuel pour grossir le volume des sigles. Mêmes causes, mêmes effets, parce que même mode opératoire. Pour ne pas paraître négativistes, espérons malgré tout être démentis par une forte participation et par un vote de vérité. C’est tout le mal que l’on souhaite à notre démocratie toujours balbutiante, toujours en chantier, en projet.
D’autant que le prochain scrutin est un examen de passage, sans rattrapage et sans filet de sécurité. Dans le contexte arabe actuel, nous serons jugés sans indulgence. Dans son discours d’ouverture de la dernière session parlementaire, le 5 octobre dernier, le roi a évoqué une «législature fondatrice et constituante». Deux mots fétiches utilisés par l’ancienne opposition au début des années 1960 et repris par une tendance du Mouvement du 20 février. Il y a là comme une convergence vers un certain avenir démocratique. A la bonne heure.
Youssef Chmirou, directeur de la publication