Peu de gens s’amusent à dresser une biographie d’un roi romain. Principale raison, l’absence de preuves écrites qui pousse plusieurs historiens et archéologues à ne se reposer que sur les livres d’histoire écrits par les contemporains de ces rois, sujets par moment à diverses instrumentalisations. Retour sommaire sur les grands noms de la présence romaine en Afrique du nord.
Bocchus, l’Ancien et le Jeune
Ayant vécu au premier siècle avant J.C, Bocchus 1er, appelé Bocchus l’Ancien, aurait régné dans un moment assez particulier : au tout milieu de la guerre de Jugurtha, et alors que tous les Maures n’avaient pour chef que Bocchus. Aux côtés de Jugurtha dont il est le beau-père, Bocchus combat les Romains. Cependant, leur alliance n’allait pas perdurer : « En l’an 111 avant J.C, Bocchus envoya une ambassade à Rome dans l’espoir d’obtenir le titre envié d’ami et d’allié du peuple romain », note l’historien Gabriel Camps dans une biographie dédiée au personnage historique. L’objectif est assumé : trahir Jugurtha pour mettre la main sur la Numidie occidentale, et livrer donc son ancien ami à Sylla. Pour Rome, Bocchus s’improvisera par la suite comme un excellent courtisan, en fournissant à Sylla panthères et lions pour le divertissement des Romains. Après sa mort, c’est son fils (selon d’autres historiens, il s’agit plutôt de son petit-fils) qu’on appellera Bocchus le Jeune. Les mêmes sources avancent qu’il est plutôt le fils du roi Sosu qui gouvernera après Bocchus 1er, et reprend ainsi le flambeau. Comme son prédécesseur, il est souverain de la Maurétanie orientale, de l’an 49 avant J.C jusqu’à l’an 33 avant notre ère. Par la suite, Rome lui accorde d’autres petits Etats, laissant à son frère Bogud II la partie occidentale de la Maurétanie. Les deux frères furent également des alliés de choix pour Jules César, alors en conflit avec Juba I.
L’historien Gabriel Camps précise cependant que Bocchus II n’a pas activement participé à la guerre menée par Jules César. Grâce, toutefois, à ses liens avec l’Empire, il devint l’homme qui réussit à détenir un plus grand nombre d’Etats, en comparaison avec celui qui l’avait précédé, Bocchus 1er. Au final, Bocchus II mourra en l’an 33 avant l’ère commune et c’est à l’empereur Octave que reviendra la tâche de gouverner la Maurétanie.
Massinissa, souverain impérialiste
Son royaume s’étendait jusqu’en Cyrénaïque, une partie de l’actuelle Libye. Né vers 238 avant J.C et mort vers 148 avant notre ère, Massinissa avait été le premier roi de la Numidie unifiée. Malgré les exploits et son règne de 56 ans marqué par l’expansionnisme, les livres d’histoire occultent étrangement ce grand nom de l’antiquité. On sait de lui qu’il est le fils d’une prophétesse et du roi Gaïa. « Animé d’une immense ambition, doué de qualités exceptionnelles, le prince parvint à agrandir le royaume ancestral aux dimensions du Maghreb », explique Houaria Kadra-Hadjadji dans son livre « Massinissa, le Grand Africain ». Cette ambition mènera le roi numide à une ascension fulgurante qui marquera durablement l’histoire de l’Afrique du nord.
Le contexte est d’ailleurs à rappeler : contemporaine de Massinissa, la grandeur de Carthage, devenue puissance maritime et commerciale. Face à Rome, elle parvient à s’imposer dans la Méditerranée. Ce qui ne tarde pas à provoquer une jalousie romaine… La ville antique au nord était pourtant à sa troisième guerre punique servant son impérialisme grandissant. Selon plusieurs sources, Massinissa aurait d’ailleurs participé à la seconde guerre punique, dont l’homme derrière n’est autre que le tacticien militaire Hannibal. C’est au sein des rangs des militaires carthaginois, que le fils de Gaïa se forme tout d’abord, prenant le maquis alors en Espagne. « Puis, sentant le vent tourner, il rejoignit l’armée romaine commandée par Publuis Scipion », note Kadra-Hadjadji. Après cette épopée, il faudra attendre l’année 206 avant notre ère, à la mort de Gaïa, pour que Massinissa soit appelé à reprendre les rênes du modeste royaume de Numidie. Dans un premier temps, ce sont les frères de Gaïa, Oezacles et Capussa, qui reprennent le flambeau, puis sont par la suite remplacés par un cousin de Massinissa. Quand les faits ont lieu, Massinissa est encore en Espagne, dans l’armée. Aidé militairement par Baga, roi des Maures, il parvient à récupérer son royaume. Mais l’ambition du jeune roi n’a pas de limites : une fois le royaume repris, Massinissa vise l’expansion et l’unification. Rapidement, le roi s’assure de la fidélité romaine, Rome encourageant ses entreprises, et signe un traité de paix entre Rome et Carthage en l’an 201. Grâce à cet accord, Massinissa s’assure d’une certaine tranquillité pour son expansion sur les territoires carthaginois. Son but avoué : construire un État fort, unifiant les tribus numides nomades. Pour cela, il n’hésite à les pousser à se sédentariser, mettant en avant des techniques modernes d’agriculture et leur offrant terres et propriétés. Par la suite, il se fait connaître en tenant tête à Syphax, leader des Numides Massyles qui avaient annexé le territoire de Gaïa après sa mort. Dans cette lutte, c’est notamment grâce aux Romains que Massinissa a réussi à s’imposer. Par la suite, le roi numide réussit à vaincre les Carthaginois dirigés par Hannibal, lors de la deuxième guerre punique. Au sujet de la fin de sa vie, on sait que le roi-guerrier ne lâcha pas prise et n’abandonna pas ses anciennes ambitions. Alors que les Romains commençaient à prendre leurs distances et à exprimer leurs craintes, agacés par la puissance sans limite du roi, Massinissa réussit quand même à organiser un siège pour faire tomber Carthage, en l’an 150 avant J.C. La ville fut anéantie mais le roi ne put le voir de ses yeux. Il mourra et ses disciples lui feront construire un mausolée, près de Cirta l’actuelle Constantine, du nom de « Soumâa El Khroub »…
Baga, le roi mystère
C’est incontestablement le premier roi maure, premier également de la dynastie de Maurétanie. Sa première trace (et unique) est à retrouver chez l’historien Tite-live (59 av. JC – 64 av. JC), auteur d’une grande œuvre consacrée à l’histoire romaine. L’aide apportée au roi numide Massinissa pour reconquérir son trône y est alors allégrement citée, celui-ci lui ayant prêté une armée pour qu’il puisse vaincre son rival au trône, Syphax. Hormis cette citation, peu de traces écrites ont été transmises par la suite concernant le règne de Baga. On sait seulement qu’il était très puissant, au point que Massinissa se soit tourné vers lui. Actuellement, plusieurs historiens continuent de poser de nombreuses questions concernant ce personnage historique, énigmatique en plusieurs points. « Qu’était-ce un roi des Maures à la fin du IIIème siècle av. JC ? Sur quel territoire exerçait-il son autorité ? Baga faisait-il partie d’une dynastie ou fut-il un chef sans postérité? », s’interroge Gabriel Camps dans un écrit dédié au roi maure. La même source atteste que le roi devait exercer son autorité de domination, « sur les villes littorales, toutes de culture phénicienne, qui occupaient les sites d’Emsa et de Sidi Abdeslam, mais aussi et plus sûrement sur les villes de l’intérieur comme Volubilis et peut-être Tamuda ». Son autorité était toutefois limitée par l’influence des tribus berbères Gétules, relève l’historien.
Juba II, de jeune otage à roi savant
Son règne intervient plus de deux siècles après celui de Massinissa. On dira de Juba II que deux de ses ancêtres avaient été fils du roi numide Massinissa. D’eux, on avance qu’ils avaient été doués d’une certaine intelligence, leur permettant de se distinguer au sein de l’élite numide. Pour mieux comprendre le règne de Juba II, il faudra tout d’abord connaître son père : Juba aura régné sur la Maurétanie, entre 60 et 46 avant l’ère commune. Le roi est vaincu à la bataille dite de Thapsus, qu’il menait avec Pompée avec, devant lui, un César plus puissant que jamais. Une bataille que le roi perdra, ce qui ne fera que renforcer la présence romaine en Afrique du nord. À l’époque, Juba II n’a encore que 10 ans. Il est capturé par les conquérants romains et amené à César, à Rome. Au lieu d’être exécuté, le prince sera plutôt considéré comme un « otage », gage de paix face aux vaincus. À Rome, le jeune Juba acquiert plusieurs connaissances, notamment dans l’histoire et les langues, forgeant sa future réputation de « roi savant ». Mais pas que. Dans la ville impériale, Juba II s’entraîne également physiquement pour acquérir des compétences militaires, faisant de lui un guerrier digne de ce nom, et non pas simple érudit de la cour romaine. En 44 avant J.C, César meurt et c’est l’empereur Auguste, plus connu à l’époque sous le nom de Octave, qui désigne Juba II citoyen romain. À partir de l’an 31, il participe aux côtés d’Octave aux campagnes militaires en Espagne. Une fidélité sans faille vouée à cet empereur de la part de Juba II, qui finira par être récompensé : Auguste finira par offrir au prince le royaume de son père. Un cadeau de taille qui ne tardera pas à marquer l’histoire.
C’est dans ce contexte que le jeune prince finira par prendre pour femme Cléopatre Séléné, faisant d’elle, à ses côtés, reine de Maurétanie. Cléopatre Séléné n’est autre que la fille de Cléopâtre VII, reine d’Egypte. À partir de là, la réputation du couple commence à se forger : on les connaîtra comme étant de grands bâtisseurs, mécènes, férus de lettres et d’arts, faisant de la Maurétanie plus que jamais le centre culturel par excellence du continent africain. En l’an 23 avant J.C, Juba II meurt à Tipaza, en Algérie. À Volubilis, d’extraordinaires statues en bronze, certainement faisant partie de la collection de Juba II, ont été retrouvées vers les années 1940. Parmi la collection, un buste du « vieux pêcheur » aux traits modernes, mais également une statue d’un jeune éphèbe. Des pièces miraculeusement conservées, et qui témoignent de la générosité d’un roi n’ayant pas lésiné sur les moyens pour édifier les meilleures sculptures et veiller à leur conservation. Il en fera de même pour un buste, aujourd’hui considérée comme étant la trace de référence de la présence romaine au Maroc, et plus généralement en Afrique du nord.
Ptolémée, la fin d’une ère
Avant même sa mort, Juba II avait choisi son fils Ptolémée comme « co-monarque », témoignage de la confiance du père en sa progéniture. Comme son lui, d’ailleurs, il continuera dans la même lignée, faisant évoluer les arts et les lettres. Ailleurs, en Grèce notamment, on fait ériger des statues de lui à sa gloire. Mais, contrairement à son père, son règne ne sera pas de tout repos. Il marquera même la fin d’une ère, d’une époque.
Dès l’an 17, des tribus berbères, Gétules et Garamantes notamment, commencent à se rebeller contre le royaume de Maurétanie, pointant du doigt le joug romain. Ptolémée n’arrive pas à venir à bout de la révolte et fait appel à Rome. C’est le gouverneur romain d’Afrique, Publius Cornelius, qui vient à la rescousse avec ses légions, et réussira à vaincre les tribus berbères menée par Tacfarinas. À Rome, le Sénat félicite Ptolémée. Plus connue sera la mort de Ptolémée, encore citée par de nombreux romans historiques. Parce qu’elle est digne d’une scène d’un film historique. On raconte, en effet, que Ptolémée, de passage à Lyon (d’autres avancent Rome), rencontre le tout puissant empereur romain Caligula. Alors que le roi de la Maurétanie se présente à la foule, habillée traditionnellement, il est ovationné par la populace. Jaloux, Caligula demandera, d’un hochement de tête, à ce qu’on enferme le roi de Maurétanie et qu’on le décapite. Et ce ne sont pas leurs liens familiaux qui auront pu calmer les ardeurs : la mère de Ptolémée et la femme de Caligula étant toutes les deux du sang de Marc Antoine. Derrière cette mort, plusieurs théories continuent d’alimenter une affaire aussi énigmatique que sensible, et donc sujette à plusieurs instrumentalisations de l’histoire (lire la « Grande Énigme » de Zamane, numéro 101). « Tué car il avait trop brillé », on ne saura jamais la véritable motivation de Caligula. Cependant, plusieurs sources attestent de la participation de Ptolémée dans la conjuration de Gaetulicus, comme le précise l’historien Jean-Claude Faure dans « La première conspiration contre Caligula ». Ce dont on est toutefois certain, c’est qu’avec la mort de Ptolémée, soudaine et inattendue, le royaume de Maurétanie allait connaître une dégringolade sans fin. Juste après, le quatrième empereur romain, Claude, dirige l’annexion de la Maurétanie, faisant d’elle une province directement administrée par Rome, et non pas un roi ou souverain local. Le royaume sera divisé alors en deux parties : une Maurétanie césarienne et Maurétanie tingitane.
Par la rédaction