L’histoire n’est pas seule juge de la compétition livrée entre Fès et Marrakech. La géographie, ladémographie, l’urbanisme et même le climat sont autant de paramètres à prendre en considération. Jean-François Troin, géographe français, ancien chercheur à l’université de Tours, est l’auteur d’une étude comparative entre les deux villes. Il nous en révèle la teneur…
En tant que géographe, pensez-vous que la fondation et l’évolution des deux villes remplissent les critères pour en faire des capitales ? Quels sont leurs atouts et leurs limites géographiques ?
Les deuxvilles ont profité, au cours de l’histoire, d’une indéniable position de carrefour. C’est le cas particulièrement de Fès entre le VIIIème au XIème siècle, puis cela est valable pour les deux villes au XIème avec un troisième pôle, Sijilmassa, établissant un triangle de capitales. Au début du XVIème, Fès est court-circuitée par Marrakech. Enfin, à la fin XVIème et au XVIIème, le double réseau se met en place avec, au Nord, des débouchés maritimes sur la Tingitane pour Fès et à l’Ouest une connexion avec les ports atlantiques pour Marrakech. Elles ont, de ce fait, commandé de vastes territoires, s’étendant du Sénégal à l’Espagne et à la Libye. Peu à peu, leur aire d’influence s’est restreinte, mais surtout elles ont exercé leur tutelle de capitale par un mouvement de balancement de l’une à l’autre, avec des périodes de puissance et des périodes d’éclipse. Rivales, certes, mais toujours liées, principalement dans les derniers siècles de l’époque contemporaine, comme en témoigne l’importance accordée au Trek es-Soltan, la voie qui les joignait sur le front nord des Atlas, itinéraire stratégique des sultans et cordon ombilical pour les échanges économiques. Les deux villes ont donc connu des évolutions cycliques, des périodes d’oubli et des renaissances, ce qui a provoqué un empilement de strates urbaines, d’où résultent la complexité des quartiers et l’importance du patrimoine monumental. Mais il y a ici contraste entre les deux cités historiques : Fès est plus riche architecturalement, elle juxtapose des noyaux urbains anciens et étendus (les deux rives de l’Oued Fès, le quartier royal de Fès Jdid à côté de la médina plus ancienne de Fès el Bali). Marrakech a connu de nombreuses destructions avant d’être rebâtie par pans entiers, son parcours urbain est plus heurté et, aux époques troublées, elle s’est recroquevillée sans s’étendre à l’intérieur de la coquille des remparts. Quoi qu’il en soit, le balancement entre capitale du Nord et capitale du Sud est un phénomène assez remarquable qui a permis un certain équilibre territorial du Maroc aux siècles passés.
Le climat, sensiblement différent, joue-t-il également un rôle dans l’économie et la culture ?
Il n’y a pas d’impossibilités climatiques pour le développement des deux villes, Fès étant cependant mieux dotée en eau, Marrakech devant aller la quérir au loin au pied de l’Atlas par les Khettaras. Mais grâce à d’ingénieux systèmes d’irrigation mis en place au Moyen-Age, Marrakech a su s’accommoder d’un climat plus sec et cela n’a pas vraiment entravé son rayonnement économique. Quant à la culture, je ne pense pas que le climat ait eu un impact significatif dans ce cas.
Lire la suite de l’article dans Zamane N°99 (février 2019)