Je parle de la gauche non gouvernementale, celle que certains appellent l’extrême gauche ou encore la gauche radicale. Depuis le début du XXIème siècle est apparu sur la terre marocaine un nouveau concept, celui de la vraie gauche et de la mauvaise gauche, ou encore celui de la gauche gouvernementale et celle qui se définit par l’opposition non seulement au gouvernement mais souvent au système en général. C’est cette dernière qui m’intéresse.
J’emprunte le titre à un livre du philosophe Gaston Bachelard, où l’épistémologue (philosophe des sciences) développe l’idée de la remise en cause de l’évidence et de l’imbrication de la vérité scientifique avec le dogmatisme rationaliste. La philosophie du non, essai d’une philosophie du nouvel esprit scientifique, où le Non signifie pour Bachelard, dépasser et compléter le savoir antérieur, et où la philosophie de la connaissance scientifique doit englober les contradictions et non pas les rejeter. Car la pensée rationnelle trop rigide pousse à l’entêtement et, au lieu de servir l’évolution, peut la conduire à l’impasse.
La gauche au Maroc adopte une philosophie du Non mais tout à l’opposé de Bachelard. De l’extérieur, on ne la voit opposer que des refus à toute action, toute proposition. Contrairement à la pensée de Bachelard, la gauche en question rejette les contradictions, s’accroche au savoir antérieur, rigidifie sans cesse sa pensée et s’oppose ainsi à l’évolution. Or, le dogmatisme pousse à plus de dispersion car, là où chacun croit détenir la vérité absolue et le droit d’interprétation, pointe la division, l’émiettement et peut-être la disparition.
Il faudrait savoir qu’historiquement la gauche n’est pas née dans les salons où l’on fait sans cesse l’effort d’interpréter les textes, d’adapter les expériences, ni lors des meetings politiques, mais dans l’action et la participation aux institutions. À partir d’octobre 1789, nous rappelle l’histoire, « les députés délibèrent dans la salle du Manège des Tuileries. Les uns, hostiles à la révolution ou soucieux de la contenir, s’assoient sur le côté droit de la salle, par rapport au président de l’Assemblée, les autres plus ou moins favorables à la révolution, s’assoient à la gauche du président Ils se disent « patriotes » et qualifient leurs opposants d’« aristocrates ». De cette répartition des députés français par affinités datent les clivages entre une droite (réputée conservatrice) et une gauche (réputée révolutionnaire ou réformiste) qui rythment aujourd’hui encore la vie politique dans toutes les démocraties». C’est donc dans l’action que naissent les idées et s’opèrent les ouvertures.
Or, là où Bachelard dit non à la fermeture, la gauche semble volontiers dire oui à la clôture. Elle a, et à coup de refus répétés, produit une posture que même les rares jeunes qui ont eu la chance d’avoir une place parmi les grands, adoptent sans difficulté. Attendre que les conditions soient réunies et mûres pour agir. Refuser de proposer, de créer une union de la gauche, d’élargir la base de recrutement à d’autres classes sociales, assouplir le discours sans renoncer aux principes, défendre les défavorisés et œuvrer pour un état moderne : cela, la gauche l’a abandonné, me semble-t-il.
Je devais prendre la parole à l’université d’été qu’organisait la Fédération de la Gauche Démocratique en juillet dernier à Casablanca. Mais je n’ai malheureusement pas pu répondre à l’invitation pour avoir été à l’extérieur du pays. L’université avait pour thème : « La reconstruction de la gauche, les fondements et les mécanismes ». Je voulais justement parler de ce problème endémique, celui d’être disposé à dire volontiers non au point où c’est devenu l’identité même de la gauche.
Les anciens de ces organisations ont la phobie de disparaître. Ainsi, et dans un instinct de conservation presque biologique, ils se recroquevillent sur eux-mêmes et refusent à leurs jeunes d’accéder aux instances de décision dans les partis.
Résistance n’est pas nécessairement un non absolu, le temps passe, les esprits vieillissent, et celui qui stagne recule nécessairement. L’exemple des élections en Tunisie est venu nous le rappeler.
Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane