Le ciment des nations est une représentation mentale, celle de l’appartenance. Comment le Maroc est-il passé d’une «poussière de tribus» à l’ébauche d’une idée nouvelle, la patrie?
La tribu est beaucoup plus qu’un groupement humain qui partage un territoire. C’est une entité qui organise à la fois l’espace (les terres, les voies de passage) et les populations (les relations humaines, les lignages). La tribu est donc porteuse d’une culture, qu’elle véhicule par une langue et codifie par des coutumes. Les comportements collectifs et individuels sont régis par des règles écrites ou transmises. Ce système de valeurs a la double fonction de référentiel culturel et de corpus législatif.
Assabiya ou Dar El Islam, une certaine idée du territoire
Deux représentations mentales déterminent l’histoire des populations maghrébines – si liées entre elles qu’il n’est pas aisé de déconstruire ce «complexe historique». Le premier concept, la assabiya, ne peut être compris que rapporté à la double réalité de la tribu (gestion de l’espace et gestion de l’humain). La assabiya est le lien organique et culturel qui permet un dépassement des limites territoriales et humaines de la tribu pour construire un système politique et social, soit un Etat (pour employer le vocabulaire occidental). C’est ainsi que sont nées les grandes dynasties marocaines, comme les Almoravides, issus des tribus Sanhaja, les Almohades, issus des Masmouda, et les Mérinides, issus des Zenata.
L’autre représentation mentale est celle de Dar El Islam, convergence de la mentalité des oulémas et de la quête de légitimité du système politique (l’Etat). Elle va se superposer à la double réalité tribale. Dans cette représentation, l’espace est réparti en Dar El Islam (espace de l’islam) et Dar El Kofr (espace des mécréants). Entre les deux, il existe un espace intermédiaire appelé, en période d’affrontement, Dar El Harb (de la guerre), et en période de paix Dar El Houdna (de la trêve). Dans cette mentalité, contrairement à celle de la tribu, il n’y a pas de notion de frontières, ni physiques ni humaines. Le territoire est mal défini, non déterminé. L’adhésion à une tribu se dilue donc dans une autre, plus large, qui transcende l’espace tribal aussi bien dans ses limites de lignage que dans ses réseaux utilitaires.
Par Mostafa Bouaziz
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