Le 8 juillet
J’étais ce dimanche matin au cimetière Achouhada de Casablanca. Un Haut lieu de la mémoire collective des Marocains. L’évènement est exceptionnel. La dépouille d’un chef de la résistance armée au colonialisme allait être inhumée avec des les honneurs d’usage, 48 ans après son assassinat par les sbires du général Oufkir, homme fort du régime du roi Hassan II dans les années 1960. Le moment aurait pu être banal : une cérémonie officielle, feutrée où les discours dits en langue de bois auraient facilité, comme d’habitude, la digestion de l’absurde de notre quotidien. Mais le maitre de céans, l’homme qui était derrière cet évènement, Mohammed Bensaid Ait Idder, n’est pas de ceux qui s’accommodent avec la demi mesure. Alors cette journée ensoleillée du 8 juillet 2012, prit une autre couleur. Celle d’une confession collective de la lâcheté devant l’horreur. De quoi s’agit-il ? L’assassinat, après l’indépendance du pays, d’un grand résistant marocain pour le dépouiller de ses biens, notamment des dizaines d’hectares dans la région de Cabo Negro au nord du Maroc. Le résistant en question, El Madani Chafik, est né en 1923 dans la région de Ouarzazate. Il a émigré tôt à Casablanca. Après avoir enfilé plusieurs petits emplois, il s’installe à Derb Sultan comme réparateur de radios. Il débute son action civile contre la colonisation en participant à la fondation de l’association « union du sud ». Il intègre, au début des années 1950, les cellules de la résistance armée. A la mort de Mohamed Zerktouni, il devient l’un des dirigeants de l’organisation secrète. Il entraine les jeunes résistants. Il met au point les techniques de renseignements. Et les procès d’opérations. Il est l’architecte des opérations de résistance dans la région de Casablanca. Ses enseignements, ses méthodes et son savoir-faire se propagent, d’après le témoignage d’une grande sommité de la résistance, dans les quatre coins du Maroc. Découvert par la police politique du protectorat, il se refugie dans la zone nord sous le contrôle espagnol. Il y fonde, avec d’autres résistants, l’armée de libération marocaine (ALM). A l’indépendance du pays, il revient à Casablanca, il est décoré par le roi Mohammed V.
C’est une personnalité à qui la nation doit beaucoup. Comme beaucoup de ses semblables, il ne chercha pas à monnayer ce qu’il considérait comme son devoir de patriote. Il vaqua donc à ses occupations de père de famille nombreuse, très nombreuses (15 personnes). Il ne pensait pas l’ombre d’un instant qu’on l‘enlèverait la nuit du 4 juin 1964, et qu’on l’emprisonnerait dans les cachots du sinistre Derb Moulay Chrif, lui qui avait échappé aux services du protectorat français, lui qui avait risqué sa vie pour libérer son pays !
Pourquoi s’acharneraient ils contre lui ? De quel crime l’accuse-t-on ? Celui de posséder des hectares dans un site stratégique, voilà le mobile. On lui proposa de les lui acheter à un prix modique, il refusa. On le tortura. On l’assassina, et on fit disparaître son corps. Le « on » désigne les « hommes de l’ombre », les sbires des gens au pouvoir. Après ce crime, les responsables politiques de l’époque, exproprièrent le défunt, se partageant ses biens, et déshéritant ses ayants droit. Commence alors l’épopée de la famille El Madani Chafik pour retrouver sa dépouille et l’inhumer selon les rites musulmans, et en même temps retrouver leurs biens spoliés. Une longue traversée du désert qui n’est pas encore finie. Grâce au soutien de Mohammed Bensaid Ait Idder et quelques militants des droits de l’homme. La famille reçut en 2000 un certificat de décès du père assassiné. Elle ne localisera le lieu de son enterrement qu’en 2011, dans un coin du cimetière de Sbata. Elle n’eut le droit de récupérer la dépouille du défunt qu’en 2012 après analyse ADN et autorisation judiciaire. Elle se bat toujours pour récupérer les biens expropriés pour utilité publique et détournés aux profits des hommes du pouvoir.
Ce dimanche 8 juillet, la cérémonie du ré-inhumation du grand chef de la résistance armée El Madani Chafik (dit Laaware) ne se déroula pas de façon protocolaire : une grande assistance, certes hétéroclite mais unie dans l’émotion. Les militantes et militants des droits humains, les familles des détenus politiques, des disparus et des exécutés pendant les années de plomb. Les résistants, les vrais. Les démocrates authentiques, ceux qui ont mené tous les combats pour l’indépendance et pour la citoyenneté. Les jeunes du 20 février. Les syndicalistes. Mais aussi Abderrahmane El Youssoufi, ancien Premier ministre et membre de la famille de la résistance. Mohammed El Yazghi, ancien ministre. Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement. Ahmed Essabar, secrétaire général du conseil national des droits de l’homme, Mostafa Ramid, l’actuel ministre de la justice, et bien d ‘autres personnalités. Le moment était exceptionnel. Les témoignages, exceptée l’intervention en langue de bois du haut commissariat à la résistance, étaient poignants. L’émotion était à son paroxysme. L’assistance vivait et revivait l’atmosphère d’effroi que faisaient régner les prédateurs du pouvoir, mais aussi les luttes héroïques des militants, et des élans spontanés de solidarité avec les victimes et leurs familles. Sommes-nous à l’abri de la répétition d’un tel arbitraire ? Nous l’espérons, mais la seule garantie, qui est un régime de citoyenneté, tarde à s’installer. En attendant, je dis aux despotes, aux prédateurs et à tous ceux qui les laissent faire : « La nation est reconnaissante à ses martyrs et à ses valeurs sûres. Elle grandit en les grandissant. Elle s’élève quand elle reconnaît ses erreurs. La nation s’excuse quand certains de ses responsables foulent la dignité humaine, et portent de graves atteintes aux droits humains. Ce faisant, la nation s’élève très haut dans les espaces libres de l’humanité.
Du 16 au 20 juillet
J’ai eu à participer à une activité de formation de jeunes Marocains dotés d’un potentiel d’excellence et aspirant, comme bons citoyens à servir leu pays. La formation est organisée, chaque année par l’association Annwar qui regroupe un certain nombre de femmes et d’hommes dont la générosité n’a d’égale que leur amour de la patrie. C’est l’autre face de notre Maroc. La face lumineuse, celle qui croit aux compétences des jeunes filles et des jeunes garçons de chez nous. Celle qui investit sa générosité sur la jeunesse, l’énergie de demain, les fondateurs d’Annwar offrent des chances à ceux qui n’en ont pas. Dans l’obscurité et les ténèbres qu’entretiennent les prédateurs, ils allument des bougies pour éclairer des itinéraires. A eux aussi, à leurs nobles efforts, la nation est reconnaissante.
Par Mostafa Bouaziz
Conseiller scientifique de Zamane