Avec la pandémie, on a repris l’utilisation d’un certain nombre de mots que nous avions presque oubliés. Nous n’avons jamais autant utilisé les mots virus, épidémie, pandémie, au point où tout le monde était devenu spécialiste. L’internet aidant, les citoyens du globe se sont documenté sur la vie des virus et leur mode de propagation ; la viralité. Mais si cette connaissance du sens commun et qu’on pourrait qualifier d’ascientifique était quotidiennement démontée par des spécialistes qui s’adressaient en direct à l’opinion publique pour resituer les problèmes et les informations, elle demeure toujours vivace et prête à resurgir.
L’ignorance est coriace, elle trouve le moyen de se propager et interpelle les esprits plus facilement que la complexité de la connaissance. Nombreux sont qui se sont mis à divulguer des «fake news», ou à renier complètement l’existence de la maladie. Là aussi, l’alliance de la science (la médecine) et de ce qu’on appelle la force légitime de l’état ont eu à travailler dur pour faire taire ces voix discordantes. Du coup, nous avons remarqué l’absence subite d’une autre forme de viralité dans la toile ; celle de la bêtise. C’est peut-être juste un répit. Avant la pandémie, beaucoup de youtubers (utilisateurs de youtube) occupaient la scène médiatique en publiant souvent des contenus déplorables. La viralité de la bêtise va vite et se déploie à une vitesse vertigineuse. Le simplisme passe mieux. La pensée complexe fatigue. Les destinataires de ces contenus sont souvent d’un niveau intellectuel modeste voire très bas, mais les youtubers récoltent grâce à cela plusieurs millions de «like». C’est à cet endroit précis que se place le marketing.
Le marketing viral qui utilise cette foule informe que Edward Bernays avait déjà qualifié d’ignorante. Le marketing viral est une forme de promotion d’une offre commerciale où ce sont les destinataires de l’offre qui font la recommandation de la marque, du produit ou bien du service à leur entourage et qui permettent ainsi la diffusion du message. De nos jours, le marketing viral utilise les réseaux sociaux en incitant les clients à donner leurs avis sur les entreprises, leur communication, leurs produits et à partager ces informations avec leurs amis, collègues ou membres de leur famille.
C’est parmi la population adepte de ces youtubers de la bêtise que le marketing viral constitue sa foule de promoteurs. Dans la foulée de ces contenus simplistes, le marketing viral place ses produits et les laisse se déployer comme un virus. La spécificité de ce type de marketing est que les consommateurs deviennent les principaux vecteurs de la communication de la marque. Ainsi, le marketing viral pourrait être considéré comme une manifestation de cette prise de pouvoir des foules. Les internautes et les blogueurs organisés, sans en être conscients, en réseau, étant susceptibles de faire et de défaire les marques et les produits en un rien de temps. La campagne du boycott au Maroc pourrait à ce titre être analysée dans ce sens.
Les producteurs de ces contenus déplorables se sont vus attribuer un qualificatif très noble ; encore un des tours du marketing viral. On les appelle désormais des «influenceurs». Désormais, c’est le marketing politique qui s’intéresse à eux. Ils font des présidents, Donald Trump en est l’exemple le plus éclatant.On les utilise, souvent à leur insu, pour les diffamations, le lynchage médiatique des personnalités politiques, médiatiques, intellectuelles, artistiques ou autres.
C’est un danger pour la civilisation. C’est une démarche qui fonctionne comme du totalitarisme; c’est un totalitarisme sans visage. C’est là où fleurit le populisme. La pensée simplifiée n’est pas nécessairement celle qui prend le risque d’inventer, mais celle qui répète et réédite le même. L’opinion se lit facilement et s’envole dans le système viral. La foule manipulée par la viralité est aveugle: elle se croit libre de juger, de choisir alors qu’elle présente tous les symptômes de l’esclave.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane