Notre rapport à l’Afrique subsaharienne et la connaissance que nous en avons sont à la fois anciens et récents. Par la force de la proximité temporelle, et de la contemporaneité actuelle, c’est le récent qui l’emporte, et encore. Sur un peu plus de dix siècles, au moins, cette disparité au niveau de l’intérêt cognitif, voire d’une certaine familiarité, n’est pas inscrite dans l’Histoire et dans notre mémoire collective.
Bien que l’Afrique ait sa propre histoire, pour la simple raison qu’elle a existé avant nous, donc sans nous. Une affirmation que le plus brillant des intellectuels africanistes, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, trouverait d’une évidence désarmante. Lui qui nous assurait, avec force arguments archéologiques et paléoanthropologiques, que le Continent noir est le berceau de l’humanité et la terre première de l’humanoïde bipède. Le dossier que nous vous proposons dans ce numéro de Zamane nous renseigne sur l’ancien, de manière précise et documentée, et sur le récent, agrémenté de quelques commentaires biens sentis. Dans ce préambule rapide, nous avons préféré sacrifier au plus ou moins récent. Il n’ y a pas besoin de recourir à un sondage d’opinion pour évaluer notre degré de curiosité quant à notre histoire commune avec l’Afrique. On peut avancer, même empiriquement, que parmi l’élite, peu savent que le Maroc était un pays du Sahel, qu’il était profondément impliqué dans l’événementiel historique de celui-ci, et que toutes les dynasties successives qui ont régné à partir de Marrakech, de Rabat, de Fès ou de Meknès sont venues de ces profondeurs africaines.
Pour ne s’en tenir qu’au Sahara, dans son immensité géographique, celui-ci n’est pas seulement la continuité naturelle d’un territoire, mais une partie intégrante d’une histoire, la nôtre. Aussi vrai que le Sahel lui-même, dans sa lisière à perte de vue, n’a jamais été une frontière dans notre historicité. Mais juste un passage dans une sorte d’autoroute caravanière, culturelle et politique, qui conduit des confins de l’Ouest africain, avec des bifurcations sur tout le Maghreb extrême, jusqu’aux portes de l’Europe et au-delà, jusqu’en Andalousie. Dans cet immense ensemble d’échanges de biens, particulièrement de l’or et du sel, et de traite des Noirs, le Maroc faisait figure de plaque tournante.
C’est avec l’éclatement de la question du Sahara qu’il y a eu un certain regain d’intérêt pour notre histoire africaine. Cette actualité, qui a pris quelques rides après trente-cinq années de confrontations militaire et diplomatique, nous a obligé à revisiter et relancer notre politique africaine. On s’est rappelé la belle époque du congrès constitutif de l’OUA (l’Organisation de l’unité africaine) qui s’est tenu chez nous, à Casablanca, en 1960. C’était les temps glorieux de la décolonisation. Et des effets néfastes du principe de bombe à retardement, appelé « intangibilité des frontières » héritées de la colonisation. Ce sera la cause principale de toutes les guerres post-coloniales, horriblement meurtrières et répétitives qu’aura connues l’Afrique, à ce jour. Nous en avons eu notre part avec l’affaire du Sahara. Depuis que nous avons quitté l’OUA, en 1984, pour nous, la carte de l’Afrique a reçu une bonne dose de simplification. Il y a ceux qui reconnaissent la marocanité du Sahara et ceux qui la nient, avec une certaine préférence pour les petro-dollars algériens.
Pendant des années, notre diplomatie s’est montrée timorée, sur la défensive, plutôt qu’entreprenante et agressive. Résultat, nous avions quasiment quitté l’Afrique. Mais l’Afrique ne nous a jamais quittés. On y est revenu par le bilatéral, par-delà la défunte OUA d’Edem Kodjo, dévoyée et qui s’est finalement éteinte à petit feu ; et au-delà de l’Union africaine (UA) de Kadhafi et de quelques autres, plus caricaturale et plus virtuelle que réelle. Au final et au fil des siècles, à aujourd’hui, il est apparu impossible de déposséder le Maroc de son identité africaine, ni de sa profondeur sahélienne. Le Sahara, que nous voulons un pont vers le Maghreb, est déjà un balcon sur l’espace africain.
Youssef Chmirou, directeur de la publication