L’abject acte terroriste d’Imlil contre deux innocentes Scandinaves, Louisa Vesterager Jespersen et Maren Ueland, coupables d’aimer notre pays et les siens, nous interpelle au plus profond de nous-mêmes. L’ignoble a eu lieu, de la manière la plus horrible, la plus sordide, la plus inhumaine. Et le silence n’est pas permis.
Les mots ne suffiront pas pour panser les blessures des siens. Nous le comprenons, et comprenons la douleur des leurs. Nous compatissons. Leur douleur est aussi la nôtre.
Au-delà de la colère et l’indignation, légitimes de surcroît, nous devons comprendre le phénomène terroriste qui nous guette tous. La bataille contre le terrorisme n’est pas exclusive et aucun pays n’est à l’abri de cet odieux et infâme fléau. Ensemble, nous contribuerons à le circonscrire, à le désarçonner, à le neutraliser.
Imilil est un tournant dans la série des frappes terroristes contre notre pays. Imili porte la signature de Daech, avec ce qui s’ensuit d’effroi et de théâtralisation. Rien à voir avec les bombes humaines de Casablanca du 16 mai, ou des loups solitaires comme sur la place Lahdim à Meknès, en août 2008, ou d’Argana à Marrakech, en avril 2011. Il y a là, à Imlil, autant le côté sordide que sadique. À la base de cette immondicité, une pensée.
Cette pensée, nous la connaissons : sa matrice, son bréviaire, son modus operandi. Elle peut s’infiltrer par des vecteurs idéologiques, les moyens de communication aidant. La précarité est un terreau sur lequel elle peut se greffer, mais ce n’est pas la précarité qui en est la cause. Cette pensée, à supposer qu’elle le soit, devrait être déconstruite, pour être désactivée.
Le rejet dont la société marocaine a fait montre de l’acte ignoble, est un signe de bonne santé qui servirait d’antidote au discours de la haine. Les acteurs de la violence n’encourent pas que l’opprobre de la société mais condamnent les leurs, à la désapprobation de celle-ci et au déshonneur.
À un mal global, un traitement global. Celui des sécuritaires qui, devant le danger et son aspect pernicieux, doivent doubler de concertation, en interne et en international.
Sur le moyen terme, il est impératif de sortir ceux qui vivent dans les marges de leur précarité psychologique. Ce n’est pas la misère qui est la cause du terrorisme, mais l’individu désarticulé, sans attaches, sans repères, fragilisé par la dépersonnalisation et la matérialisation dans un monde sans âme. L’anomie, pour reprendre un terme savant, c’est-à-dire l’absence de règles ou l’effilochement de la conscience collective. Les recruteurs le savent, et l’individu esseulé devient une proie facile aux champions du discours de la haine. Il faut réactiver les instances de socialisation.
Sur le long terme, nous devons forger un autre récit dans nos vecteurs éducatifs, à l’école, dans nos lieux de culte, nos espaces publics. Et l’éclectisme dont on s’est paré n’est pas la bonne recette. Les discours identitaires, ou autres avatars du communautarisme, ne sont pas la panacée.
Le terrorisme est mutant, protéiforme et, au-delà du travail sécuritaire, nous devons nous outiller de moyens pour comprendre le phénomène. Pour pourvoir une situation (ou la changer), il faut fondamentalement le savoir, condition sine qua non pour prévoir, comme dirait Auguste Comte. On ne le dira jamais assez, le besoin des sciences sociales est plus qu’indispensable. L’université, hélas, forme au mieux des diplômés et non des chercheurs, et les «centres de recherches» sont souvent des instances de socialisation et de rencontres festives et mondaines. On paye rubis sur ongle quelques têtes d’affiches, invitées dans les grands palaces pour débiter des lieux communs. Argent qui aurait dû être mis à bonne escient pour comprendre notre système éducatif, l’effilochement du tissu social, les raisons de la montée de la criminalité. Décrypter en somme notre réalité, si complexe et mutante. On ne peut l’appréhender par des généralités, ni la canaliser par des voeux pieux, ou des discours identitaires ou « moralistes ».
Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane