Depuis le début du « printemps arabe », on entend souvent dire que le Maroc, de par l’ancienneté de son régime monarchique, est un cas à part dans la région. Historiquement, y a-t-il une «exception marocaine»?
Erodée par le haut comme par le bas durant les dernières décennies, la notion d’Etat semble être de retour. La mondialisation envahissante sur laquelle s’est ouvert le XXIe siècle paraît marquer le pas. La rive méridionale de la Méditerranée vit à l’heure de changements profonds embrassant sociétés, Etats et relations internationales. Certains parlent d’un tsunami sociopolitique, une sorte de vague de fond de peuples longtemps réprimés sous une chape d’autoritarisme et de racket. La forme de l’Etat, dictatoriale ou démocratique, est de nouveau propulsée au-devant de la scène sociopolitique. Lorsqu’en janvier 2011 l’ancien président tunisien a pris la fuite, tous les espoirs semblaient permis. Les jeunes Egyptiens ont clamé : « Si les Tunisiens y ont réussi, pourquoi pas nous ? ». La lame de fond semblait irrésistible.D’autres dictateurs paraissaient devoir emboîter le pas aux présidents tunisien et égyptien, déchus sous l’effet de mouvements de masse décisifs œuvrant pour la mise en place de nouvelles démocraties. Depuis, le comportement des chefs d’Etat du Yémen et de Libye, puis celui du président de Syrie qui a rejoint ces derniers dans une sorte d’hymne à la violence, montrent par leur acharnement aveugle que le changement ne se fera pas sans gros frais, tout au moins dans ces pays-là.
On a également cru que le mouvement de masse allait se propager comme une traînée de feu embrasant tous les pays arabes, en dépit de la diversité des situations particulières. Depuis, on s’est rendu à l’évidence : l’expression « monde arabe » n’est qu’une catégorie classificatoire. Il y a au moins autant de situations que d’ensembles géoculturels ou de systèmes politiques. Paradoxalement – et signe des temps – les monarchies semblent, du moins jusqu’à présent, mieux réagir aux affres du changement. L’une des raisons en est peut-être leur meilleur enracinement dans leurs sociétés ; l’autre pourrait être résumée ainsi : les monarchies, ne prétendant pas monopoliser la vérité, semblent mieux préparées au dialogue, ne serait-ce que dans des limites déterminées, alors que les régimes « présidentiels », se concevant le plus souvent comme détenteurs d’une vérité absolue, ne s’y prêtent que la main forcée.
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Par Abderrahmane El Moudden
Historien, secrétaire général de l’Association marocaine pour la recherche historique, Abderrahmane El Moudden est spécialiste de l’histoire moderne et contemporaine du monde musulman.