La réédition de Mein Kampf (Mon combat) d’Adolf Hitler fait un carton en Allemagne, pays qui a été littéralement anéanti par le célèbre homme à la petite moustache. Le livre truste les premières places dans toutes les listes de bestsellers du moment. Mais ce n’est pas seulement un phénomène de librairie. Ce retour en forme d’Adolf Hitler pose, évidemment, un énorme problème éthique. C’est un cas de conscience. Sans oublier que nul ne peut mesurer, à l’avance, l’impact que le brûlot de Hitler peut avoir, aujourd’hui encore, auprès des jeunes. Et le problème ne concerne pas que l’Allemagne, mais l’Europe et le monde. Y compris les pays musulmans, qui ont l’habitude d’être exposés à toutes sortes de littératures fascisantes.
Peut-on tout diffuser ? La liberté d’expression et de diffusion peut-elle inclure même des ouvrages à caractère raciste, appelant ouvertement à la haine de l’autre, voire au crime ?
L’Allemagne a répondu à ces questions par l’affirmative. Oui, on peut. Dans certains cas, on peut. Malgré le danger réel que représente la diffusion de la pensée nazie auprès de certains nationalismes déjà exacerbés. Malgré la tendance mondiale au repli communautaire et aux règlements de comptes avec un passé et une histoire partout mal digérés. Et malgré la complexité de l’actualité qui fait ressembler le monde à un gigantesque champ de mines prêtes à exploser à tout moment. Avec tout cela, l’Allemagne a quand même dit oui parce que le livre représente un formidable indicateur historique. C’est le témoin de la folie d’un homme, mais aussi d’une époque particulière, celle de l’Allemagne et du monde il y a presqu’un siècle. Cette page terrible de l’histoire, les Allemands n’ont pas fini de la relire. Parce qu’ils n’ont pas fini d’explorer et de comprendre leur histoire. Encore et encore. Le pays de Goethe, Heidegger, Nietzsche ou Karl Marx, a donc franchi le Rubicon. Il a osé. Il a pris le risque de passer outre la mémoire des millions de victimes de l’Holocauste. Il a transgressé une certaine obligation morale envers les victimes du nazisme. Et il a fait cela au nom de la science et de l’histoire. Mais il a trouvé une astuce originale pour faire passer la pilule: faire accompagner la réédition de Mein Kampf par un volumineux supplément critique. Des historiens ont pris part à ce supplément fait d’annotations et de mises en contexte, dont le but est d’adoucir la violence et la haine qui continuent de transpirer du fameux livre. Voilà comment un grand pays a choisi de rouvrir, de nouveau, la page la plus noire de son histoire. D’autres auraient été tentés de déchirer cette page. Pas l’Allemagne. Elle la rouvre mais prend le soin de la « neutraliser » avec l’apport pédagogique d’historiens et de scientifiques. Entre autoriser et interdire, elle a trouvé une sorte de « troisième voie ».
Au final, l’Allemagne a mis en avant et privilégié l’argument de la science et de l’histoire, au détriment de l’argument moral ou sécuritaire. Cette façon de faire nous interpelle directement. Et pour plusieurs raisons. D’abord parce que nous sommes citoyens du monde. Ensuite, Mein Kampf appartient au patrimoine de l’humanité entière. Là où le livre n’est pas interdit, il est devenu bestseller. Depuis toujours. Il a par ailleurs toujours trouvé preneur parmi la communauté des chercheurs et surtout auprès du jeune public marocain. A titre d’exemple, l’année dernière, une énième traduction en arabe du livre d’Adolf Hitler a eu un succès fou au Salon du livre de Casablanca. Un petit événement passé inaperçu à l’époque…
Partout en Europe, la « troisième voie » (en gros, autoriser mais en plaçant des garde-fous) imaginée pour Mein Kampf crée le débat. Il y a le pour et le contre. Parce que le livre de Hitler, même augmenté d’un puissant contre-argumentaire, reste potentiellement dangereux. Il peut toujours alimenter les survivances de la pensée nazie dans le monde. Surtout auprès des jeunes.
Ce débat-là arrivera-t-il un jour au Maroc et dans le reste des pays musulmans, qui ont tant de mal à contrer la pensée et la littérature extrémistes ?
Karim Boukhari, Directeur de la rédaction