J’emprunte cette expression au célèbre journaliste du New York Times, Thomas Friedman, à la suite à la mort d’Abou Bakr al Baghdadi, dans un article paru dans le New York Times où il conseille de ne pas crier victoire et prône l’appui aux « îlots de décence » comme antidote au terrorisme. Ce fléau n’est pas réductible à des chefs barbares, même s’ils peuvent imprimer un style et une orientation. Obama avait annoncé la mort de Ben Laden, mais le terreau de la frustration et les milieux carcéraux d’incubation donnèrent naissance à un autre leader, plus barbare et plus sanguinaire, al Baghdadi. L’Amérique et l’Occident devraient revoir leur politique concernant le terrorisme, semble dire Friedman, et ne pas reposer sur « mon dictateur préféré numéro 1 » selon la boutade de Trump, qui préfère traiter avec les appareils sécuritaires des pays du Moyen-Orient, que de traiter avec les démocrates.
Friedman, en observateur avisé, n’est pas de cet avis. Car la mort d’un chef terroriste n’est pas la fin du terrorisme. Il faut s’attaquer au terreau qui nourrit la frustration et la haine, conséquent à des pouvoirs corrompus. Peut-être qu’un leader terroriste est en phase d’incubation dans les geôles d’Egypte, dit-il. Il faudra soutenir « les îlots de décence », au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. C’est la trouvaille de Friedman. L’Amérique ne doit pas avoir les yeux rivés sur les puits du pétrole et les salles d’écoute des appareils sécuritaires, mais soutenir les exemples, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où, sans être des démocraties, des espaces de liberté et de tolérance existent.
Je suis mal placé pour souffler ou dicter à l’Amérique ce qu’elle doit faire. Mais le terrorisme n’est pas que l’affaire des sécuritaires, ni de l’Amérique seule. L’idée des espaces de décence, (peut-être dirions nous de correction, car « decency » en anglais est plus « correction » que « décence »), qui pourraient être l’antidote au fléau, est tentante bien sûr.
Hélas, les îlots de décence n’ont cessé de se rétrécir comme peau de chagrin, suite à ce que d’aucuns avaient appelé, à juste tire, le réchauffement démocratique, conséquent à l’effet Trump, similaire à une couche d’Ozone qui a déstructuré les valeurs occidentales, puis avec le repli identitaire et l’appui que l’Amérique avait donné au communautarisme.
Il faudra dire que la politique américaine dans la région est pour beaucoup dans le communautarisme et le gel des droits de l’homme. C’est le chirurgien fou, pour reprendre l’expression de Dominique de Villepin.
Sa guerre contre l’Irak en 2003, où elle a voulu reconfigurer la région sur des lignes de partage ethniques et communautaires, apparaît de plus en plus comme un grand échec. La formule Chiites-Sunnites-Kurdes, a fini par effilocher le tissu social de l’Irak, en sus du boycott imposé du temps de Saddam. La trouvaille américaine était même perçue comme recette, que les experts de Foggy Bottom vendaient aux pays de la région. On connait la suite. Les Angry Sunnis (les « sunnites mécontents ») réagirent violemment et soutinrent le terrorisme.
Revenons à l’arme des idées. Et à des idées simples. Ce sont les valeurs qui fédèrent les sociétés modernes. En Irak comme au Liban les foules scandent leur désir d’avoir une patrie. Or, la patrie ne peut faire bon ménage avec le communautarisme.
Il est nécessaire de procéder à un inventaire. L’humanité a gobé, au lendemain de la guerre froide, de la camelote intellectuelle, et en ressent, désormais les méfaits. Peut-être, que certaines idées, se justifiaient à un moment, mais elles sont frappées de péremption désormais.
On ne peut que saluer l’initiative prônée par Friedman, un des esprits les plus brillants de l’Amérique, pour avoir conseillé de traiter les sources du manque ses symptômes et soutenir les espaces, autant que les acteurs de la liberté et de la tolérance.
Les sécuritaires sont les premiers à savoir que le terrorisme, est plus qu’un acte, mais un discours. Et gagner une bataille n’est pas gagner la guerre. La guerre contre le terrorisme repose sur les idées, et les « îlots de décence » me semble une bonne idée.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane