Soldats émérites de la Seconde Guerre mondiale, les intrépides goumiers marocains jouissent d’une réputation sans pareille. Une image ternie par les atrocités commises en marge des combats. Viols et meurtres par milliers, ces « héros » de la campagne d’Italie se seraient livrés à d’effroyables crimes sous le regard passif de la France
Une femme est allongée sur le banc d’une église délabrée. Quelques mètres plus loin, une jeune fille est assoupie. C’est Rosetta, sa fille. Soudain la mère est tirée de sa torpeur par un chuchotement suspect et une expression d’effroi se lit sur son visage. Elle observe tétanisée cette silhouette qui s’est faufilée dans la chapelle. Un homme. Enturbanné et vêtu à « l’orientale », il sourit sans la moindre bienveillance. La femme réalise vite ce qui les attend, bondit et appelle sa fille : « Rosetta ! Rosetta ! Il ne faut pas rester ici », crie-t-elle. Trop tard. La caméra suit quatre hommes qui entrent en trombe dans la petite église. Un groupe plus important leur emboîte immédiatement le pas tandis que d’autres font le guet. Ils portent tous de lourdes djellabas de campagne et sont coiffés d’une rezza traditionnelle. Les deux femmes, elles, sont maîtrisées, frappées et violées. Certains s’esclaffent devant la scène.
Cette séquence est la plus expressive, la plus dure sûrement, du film La paysanne aux pieds nus réalisé par l’Italien Vittorio De Sica, en 1960 et adapté du roman du grand écrivain italien Alberto Moravia, La Ciociara, publié en 1957. Les héroïnes sont deux Romaines ayant fui la capitale pour se mettre à l’abri dans ce coin de campagne de la Ciociarie ; les violeurs, des goumiers marocains de l’armée expéditionnaire française qui débarquent dans le sud de la péninsule et se dirigent vers Rome. Le roman de Moravia, puis le film de De Sica, ont eu un immense retentissement en Italie et à l’étranger. Sofia Loren a remporté un oscar pour son interprétation de la femme violée. Et de nos jours encore, certains partis situés à l’extrême droite du spectre politique italien se réfèrent souvent au livre et au film pour assombrir le tableau de l’immigration légale ou clandestine. Mais qu’en est-il réellement de ce drame qui a durablement terni la réputation des goumiers marocains ?
Nous sommes en novembre 1943, le corps expéditionnaire français dirigé par le général Alphonse Juin, secondé par le général Augustin Guillaume, futurs Résidents généraux de la France au Maroc, et composé d’une majorité de goumiers marocains, de soldats algériens, tunisiens ainsi que de tirailleurs sénégalais, débarque en Sicile pour libérer la péninsule occupée par les Allemands.
Par Adnan Sebti
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