L’Espagne demeure pour le Maroc l’impensé : une géographie familière, une histoire fantasmée, un lieu d’estivage et de consumérisme pour les plus nantis, un horizon peut-être pour une certaine élite, ou plutôt un benchmark. On pense la transition démocratique, ou plutôt on la pensait, en ayant à l’esprit le précédent espagnol, même si les choses sont plus compliquées.
Pour l’Espagne, le Maroc fait partie d’un subconscient historique qu’on refoule, mais qui ressort à l’occasion. Elle refuse encore de se mettre sur le divan pour dégager ce subconscient. On s’en tient à des vestiges qui ont valeur de fétiches, faute de guérir des séquelles d’un passé mitigé.
J’avais toujours pensé que c’était à l’Espagne de faire le premier pas, car elle est la plus avancée dans l’échelle de l’histoire. Au-delà de quelques initiatives, louables, de quelques approches avant-gardistes, tel que « le matelas d’intérêts », thèse chère à celui qui était ambassadeur à Rabat et une voix des plus lucides, M. Jorge Dezcallar (lire interview), il y a encore, me semble t-il, une carence en termes de paradigme de part et d’autre. Rabat est la capitale la plus sensible pour Madrid, et Madrid l’instance de substitution de Paris pour Rabat, quand on se chamaille avec les maîtres de la rive de la Seine ou qu’on soit agacés par leurs faiseurs d’opinions.
Trop court tout cela pour deux voisins, sur des rives civilisationnelles et historiques.
C’est la géographie qui fait l’histoire. Elle propose et l’homme dispose, dit-on. Le Maroc géographique, des rives de la Méditerranée jusqu’à la chaîne de l’Atlas, est le continuum de la géologie et de géographie de la péninsule ibérique. Longtemps, les stratèges espagnols l’avaient compris, et quand ils étaient au Maroc, lors de l’ère coloniale, ils avaient, parce que la géographie leur parlait, le sentiment d’être chez eux. Et les Marocains, au-delà du marqueur religieux, qui au fil du temps s’estompe, découvrent que ce «nasrani» leur est proche, dans son mode de vie, sa façon de penser. Il habite leur quartier, fait les mêmes métiers qu’eux, et eux n’ont pas besoin d’aller à l’école pour apprendre sa langue, car elle était la langue de la vie. Et pourrait le redevenir.
Un fin observateur espagnol avait décrit la relation du Maroc à l’Espagne comme une relation de couple, tumultueuse, houleuse parfois, mais passionnelle, qui fait que l’un ne peut se passer de l’autre, alors qu’avec Paris, c’est la maîtresse qu’on chouchoute, qu’on cajole, qu’on se plaît à satisfaire, et qu’on s’interdit de déplaire.
C’est au Maroc de faire le pas vers l’Espagne. Qu’il sache et qu’il reconnaisse qu’il y a entre le Maroc et l’Espagne une relation de couple et non un concubinage. Qu’il donne des gages de fidélité. Oui, oui, car, il faut le reconnaître, le sieur Maroc n’a pas toujours été fidèle. Il a eu des aventures en Orient, pour ceux que certaines de ses élites appelaient les frères. Il s’est laissé trop emporter avec la France. Il a fait de l’Espagne une instance de substitution. Or, ce n’est pas un «matelas d’intérêts» qu’il faut, mais une cure historique de part et d’autre. Les Marocains doivent revoir autrement trois grands dossiers.
Une relecture d’un sujet tabou, Sebta (dont le nom est latin, faudra-t-il le rappeler, de septum), et de Melilia (la blanche en amazigh). Il y a une imbrication de la géographie, de l’histoire, de la sociologie, qu’on ne peut faire appel au cadre Etat-souveraineté. C’est peut-être ce que feu Hassan II avait appelé « cellule de réflexion », qu’on pourrait réactualiser par la réflexion de ceux qui ne portent pas de responsabilité, dont les « élucubrations » ne peuvent engager qu’eux-mêmes. Il sera plus simple, après, d’aborder les lieux inhabités occupés par l’Espagne, qu’elle tient comme gages et qui lui coûtent en termes d’image. Le deuxième est une relecture de l’histoire des deux rives, moins idéologisée, moins fantasmée et plus positive, y compris l’histoire toute récente de la colonisation. De part et d’autre, l’idéologie et la passion pèsent toujours.
Troisième grand dossier : revoir le statut de la langue espagnole au Maroc, particulièrement dans les régions où elle fut dispensée et parlée. Non pas tellement pour plaire aux Espagnols, mais pour nos propres intérêts. Le sécuritaire a repris le dessus, et cela se conçoit dans le contexte prégnant, mais pourrait-il être dissocié du culturel ? Il y a urgence d’une liaison fixe entre les deux pays fondée sur une pensée commune et une vision stratégique, sans équivoque.
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Zamane / Aourid.
J’avoue ne pas avoir bien compris l’article de Hassan Aourid dans le n° 92 de Zamane de juillet 2018.
– Dans le paragraphe 3 il écrit : « J’avais toujours pensé que c’était à l’Espagne de faire le premier pas, car elle est plus avancée dans l’échelle de l’histoire. »
Plus loin, au paragraphe premier de la colonne d’en face, il affirme que : »c’est au Maroc de faire le premier pas ».
Peu importe qui fait le premier pas, du moment qu’ils exécutent en harmonie la valse à trois pas : deux en avant, un en arrière.
– L’opposition de l’Espagne à la France dans leurs relations avec le Maroc, laisse dubitatif : Est-ce pertinent que les relations de l’Espagne au Maroc soient comparées à celles d’un couple marital et celles de la France à celles de l’amant à sa maîtresse ? Le relèvement des relations maroco-françaises au rang de celles de maîtresse à amant aurait été mentionné par l’ambassadeur de la France aux Nations Unies. Il a, évidemment, de suite, démenti cette fake news qui ne visait qu’à décrédibiliser la position honorable de la France au Conseil de Sécurité sur la question du Sahara Marocain. Rien d’étonnant que tous les journaux à la solde de nos ennemis aient donné une large diffusion à cette fake news.
Au demeurant, l’histoire fourmille de récits de maîtresses qui ont été plus utiles à leurs amants que leurs propres épouses.
– Concernant les villes de Sebta et Mellilia, on ne comprend pas pourquoi l’auteur de l’article souligne que le nom de la première est d’origine latine. Est-ce le « fusil de Chekov » ? Est-ce pour mieux la rapprocher de l’Espagne latine que du Maroc berbère ? Pourquoi ne pas supposer que le nom de cette ville est d’origine berbère : « Asbahi » qui veut dire mousquet dont la forme du canon ressemble étrangement à celle de l’isthme de Sebta. Le mot « asbahi » serait d’abord altéré en Sebta puis en Ceuta. Qui eût cru, par exemple, que le mot « mesqueta » qui veut dire en espagnole mosquée est d’origine bebère : « timzguida » ? Certains diront que mesqueta provient de l’arabe : « madrassa ». Probable ; quitte à faire remonter le mot berbère lui aussi à ce mot arabe. Seulement, en arabe, l’école est désignée par « madrassa » et la mosquée par « masjid » quoique les fonctions d’école et de mosquée s’exercent souvent dans un même lieu qu’on appelle alors « masjid » et non « madrassa ».
Sebta et Mellilia sont deux verrues sur le nez du Maroc. Nos ennemis, de mauvaise fois, nous reprochent souvent, à tort, de se désintéresser du sort de ces deux villes alors que nous avons engagé d’âpres luttes pour récupérer notre Sahara.
Nos amis Espagnoles et nos ennemis doivent comprendre que les Marocains n’abandonneront jamais leurs droits quels qu’ils soient, et où qu’ils soient. Nous ne ferons pas la guerre à l’Espagne – ni à aucun autre de nos voisins qui nous respectent – mais notre intégrité territoriale est pour nous sacrée. Nous avons récupéré notre Sahara sans tirer une seule balle. Nous récupérerons Sebta, Mellilia et nos autres territoires du Nord de la même façon.
Si ces deux villes se maintiennent sous leur statut actuel, ce n’est pas parce que, comme le pense l’ambassadeur Dezcallar, « les Ceutis et les melilliens d’origine marocaine ne veulent pas vivre comme les habitants de Tetouan », mais parce que « le matelas d’intérêts » marocains amortit le coup. Jusqu’à quand ?
Selon un médecin de mes amis, les verrues se soignent par cryothérapie. Gelez la contrebande et Sebta et Malillia tomberont et les Ceutis et Melallis apprécieront de vivre comme les habitants de Tetouan.